De l’infantilisation de la personne autiste
- Julie BOUCHONVILLE
De l’infantilisation de la personne autiste
« Elle travaille avec un petit autiste », « Ca va ma grande ? », « Il a l’esprit d’un enfant de huit ans dans un corps d’adulte », « Pas de gros mots devant ma sœur, elle est autiste », … Autant de notions partant d’un bon sentiment et qui, pourtant, se mettent le doigt dans l’oeil.
Parce que « autiste » ne veut pas dire « bébé », parce que même un adulte ayant un retard intellectuel n’est pas un enfant, infantiliser les personnes neurodivergentes en général et autistes en particulier est insultant, contre-productif, et juste pas terrible.
Qu’est-ce que l’infantilisation ?
C’est quand on traite une personne comme un enfant, en gros, ou comme plus jeune qu’elle ne l’est. Cela peut prendre plusieurs formes :
- Un vocabulaire simple
- Un ton doux (style « maîtresse de maternelle »)
- Donner beaucoup d’instructions même pour les tâches simples
- Tutoyer d’office
- Désexualiser la personne
- Partir du principe que la personne ne comprend pas pleinement les situations dans lesquelles elle se trouve
- Partir du principe que la personne, même adulte, a elle-même un adulte de référence
- Imposer de l’aide à une personne alors qu’elle n’en a pas fait la demande, voire alors qu’elle l’a refusé
- …
Ces comportements sont souvent plutôt inconscients : ce n’est pas que les gens décident de nous parler avec une voix extra-douce ou de se sentir mal s’ils disent « putain » en notre présence, c’est plutôt un ensemble de règles tacites qui s’impose à eux.
Et même lorsque ce sont des choix volontaires, ils partent d’une bonne intention, d’une volonté de faciliter la vie de la personne autiste ou de lui éviter des tracas.
On voit tout de suite en quoi il est difficile de parler de ces comportements de manière critique.
Les adultes… sont adultes
Certains autistes devraient être traités comme des enfants. Ce sont les enfants[1]. Mais même parmi eux, on ne parle pas à une personne de dix-sept ans comme à une personne de sept, tout simplement par respect.
Oui, parfois, nos centres d’intérêts peuvent être perçus comme puérils. En tant que personne passionnée de dinosaures, je sais de quoi je parle.
Oui, notre enthousiasme débordant et son mode d’expression peuvent sembler enfantins.
Oui, nos difficultés à accomplir certaines tâches peuvent rappeler les difficultés similaires que peut rencontrer un enfant.
Tout cela n’a aucun impact sur notre âge véritable et la manière dont nous aimerions être traités.
Les dangers de l’infantilisation
Quand on infantilise une personne, on crée ce qu’on appelle une prophétie auto-réalisatrice.
Une personne dont on n’écoute pas l’opinion parce qu’on la perçoit comme incapable d’en avoir une finira par ne plus tenter de l’exprimer.
Une personne à qui on interdit de lire un roman d’horreur, de peur qu’elle soit choquée, finira par être aisément effrayée par la fiction puisque n’ayant jamais été désensibilisée.
Une personne avec qui on n’a jamais parlé de sexe risque d’autant plus de se retrouver dans une relation abusive, n’ayant pas appris à reconnaître les signes avant-coureur.
Bien sûr, face à une personne qu’on ne connaît pas, il est parfois difficile d’estimer ce qu’elle est susceptible de comprendre, quel niveau de détails elle peut gérer, et quels sujets il vaut mieux éviter. Dans le doute, il est pourtant toujours préférable de surestimer quelqu’un que de le sous-estimer. D’une part parce que c’est beaucoup moins insultant pour la personne elle-même, et d’autre part parce qu’il sera toujours possible de lui ré-expliquer par la suite si elle n’a pas tout compris.
Que faire, alors ?
D’abord, faire attention à notre vocabulaire. Récemment encore, j’ai vu quelqu’un utiliser l’expression « petite fille » pour parler d’une personne de seize ans en situation de handicap. Ça n’a l’air de rien, mais c’est avec des choix lexicaux comme celui-là qu’on entretient le problème. On ne tutoie pas les inconnus, même autistes, on n’appelle pas « mon grand » quelqu’un qui a plus de douze ans, et si parler doucement à quelqu’un en pleine crise de panique est très gentil, c’est juste bizarre de le faire à la pharmacie quand la personne vient chercher ses médicaments.
Ensuite, nous pouvons nous observer nous-mêmes et apprendre à faire la distinction entre une chose qu’on fait pour le bien-être d’une personne autiste (par exemple lui demander si le son de la radio n’est pas trop fort pour elle) et une chose qu’on fait pour apaiser notre malaise personnel face à la différence (par exemple parler à son accompagnateur plutôt qu’à elle).
Ce n’est pas grave d’être mal à l’aise ou de ne pas bien savoir quoi faire. En revanche, il est important de passer au-dessus et de toujours laisser le bénéfice du doute à une personne autiste, handicapée ou juste différente de ce dont on a l’habitude.
Ayons la conversation malaisante avec notre ado sur le sexe[2]. Parlons de comment gérer un budget, de comment réagir face à un type louche qui nous siffle dans la rue, du fait que tous les flics ne sont pas dignes de confiance. Disons des gros mots, et expliquons dans quels contextes ils sont acceptables. Faisons confiance à nos clients et nos patients lorsqu’ils semblent comprendre un sujet. Écoutons le besoin d’indépendance de nos proches, et travaillons à leur donner les outils pour qu’ils se débrouillent seuls, plutôt que de les maintenir dans la certitude qu’ils ont besoin de nous pour s’en sortir. Encourageons-les à avoir de grandes attentes pour leur avenir – tout en leur rappelant que ce qui est important est d’être heureux, pas la forme que cela prend.
Supposons, toujours, que les autistes vont nous surprendre en bien.
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[1]J’attends mon Pullitzer pour récompenser cette révélation journalistique d’envergure.
[2]Avant qu’il ne se soit intéressé à YouPorn. Quinze ans c’est trop tard.