Femmes autistes : les errances diagnostiques - Partie 2
- Julie BOUCHONVILLE
La semaine dernière, nous avons déterminé que les femmes autistes sont susceptibles de perturber le corps médical avec leurs symptômes et leur corps atypiques, et que la médecine a une certaine habitude de biais sexistes.
Cette semaine, parlons ensemble des diagnostics erronés qui peuvent être attribués à une femme autiste. Je le rappelle ici avant de continuer plus avant : l’autisme a des comorbidités, et il est donc courant, par exemple, d’être autiste et d’avoir un trouble anxieux. Un professionnel de santé diagnostiquant ledit trouble anxieux ne serait pas en train de commettre une erreur ; cette situation n’est problématique que si ce diagnostic devient le seul que l’on veut bien attribuer à la personne.
Autisme : diagnostic différentiel
La patiente, Ananas, se présente chez un psy en affirmant, avec plus ou moins d’assurance, qu’elle soupçonne d’être autiste.
Voire, elle a peur d’être étiquetée « mauvaise patiente qui a trop traîné sur Internet » et liste plutôt des symptômes.
Et si elle n’est pas très bien informée, ce qui est toujours possible et ne devrait pas être pénalisé par le système de santé, elle liste juste quelques symptômes, ceux qui lui paraissent problématiques, ne sachant pas que tels et tels autres traits sont liés[1]. Quelles sont, concrètement, les causes qu’un professionnel de santé peut trouver à ces problèmes ?
La patiente a un trouble anxieux (généralisé ou spécifique)
Le professionnel voit ceci :
– Difficulté à se faire des amis
– Épuisée après des évènements sociaux, se fatigue aisément en général
– En suranalyse de ses propres comportements sociaux et de ceux des autres[2], convaincue que les autres l’ostracisent
– Évite les contacts visuels par timidité
– À une riche vie intérieure, mais juge ses propres centres d’intérêt bizarres par pauvre estime d’elle-même
– Parle de « rituels » qui sont de toute évidence des TOCs
– Problèmes digestifs et de sommeil, sans doute dus au stress
– Dit se sentir anxieuse
Le trouble anxieux étant bien plus courant que le trouble du spectre autistique, et la patiente ressentant factuellement de l’anxiété, il est assez facile de placer toutes ses bizarreries sur ce compte — et un traitement l’aidera même à aller mieux, au moins dans un premier temps[3].
La patiente a un trouble de l’humeur, par exemple un trouble bipolaire
Un grand classique de la femme autiste : la patiente est peu en contact avec ses émotions, les connaît mal, les subit plus qu’elle ne les contrôle, se sent mal et épuisée pendant de longues périodes[4], et peut également présenter des périodes de créativité et de concentration intense où son nouvel intérêt spécifique tout scintillant la pousse à dépenser des sommes importantes. Les difficultés sociales pourront être mises sur le compte d’un sentiment de paranoïa ou l’épuisement des phases dépressives, et les difficultés sensorielles peuvent passer sous le tapis si elles ne sont pas trop mentionnées par la patiente.
À titre personnel, je n’aurais pas parié que ceci serait l’un des diagnostics les plus courants pour les femmes autistes, mais il semblerait que ce soit le cas, me poussant à théoriser (de manière absolument informelle) que les femmes concernées sont peut-être celles dépensant le plus d’énergie à projeter un persona neurotypique, et ce depuis longtemps : elles ont de ce fait peu conscience de leurs propres traits autistiques et ne voient que la partie émergée de l’iceberg, c’est-à-dire des épisodes dépressifs amenés par l’épuisement.
La patiente a un trouble de la personnalité
La définition d’un trouble de la personnalité est : un trait de personnalité[5] de la patiente, inadapté, maintenu rigidement alors même qu’il amène des difficultés quotidiennes pour celle-ci. La patiente ne change pas son comportement ni son système de croyances alors même que ses circonstances lui montrent qu’ils agissent à son détriment[6].
Il existe au total dix types de troubles de la personnalité, que je ne citerai pas tous ici, mais une personne autiste serait par exemple susceptible de se voir diagnostiquer un trouble de la personnalité évitante ou schizotypique.
Dans le premier cas, on retrouvera ce qui correspond à peu près aux difficultés sociales d’une personne autiste : difficulté à lier des connexions, difficulté à lire l’ambiance d’une conversation ou à comprendre les sous-entendus, peur d’être humilié ou rejeté.
Dans le second, on est proche des comportements qui ont, pendant des années, poussé le corps médical à considérer l’autisme comme une forme de schizophrénie[7] : sentiment d’aliénation vis-à-vis des autres, de ne pas être comme eux, ce qui mène bien sûr à de l’anxiété sociale, tendance au rituel[8], manières et comportements qu’on pourrait qualifier de bizarres. La schizophrénie est d’ailleurs un autre diagnostic possible pour la personne autiste.
La patiente a un trouble de l’attention
Avec une comorbidité impressionnante[9] et un ensemble de caractéristiques en commun remarquable, je remarquerais à titre personnel qu’il est surprenant qu’on ne voie pas plus de femmes se faire attribuer à tort un TDAH, et sans doute que l’une des raisons pour cela est que le TDAH reste un trouble considéré comme classiquement « pour les garçons ».
Le TDAH, je le rappelle, c’est :
– Difficultés de concentrations sur certaines choses, hyperconcentration sur des sujets spécifiques
– Besoins relatifs aux stimulus sensoriels qui diffèrent des neurotypiques
– Difficultés dans les relations sociales, qui peuvent avoir des causes différentes, mais se traduire par des résultats comparables[10]
– Un « style de pensée » par association
– Un certain désintérêt pour les conventions sociales
Le taux de comorbidité élevé suggère que, plutôt qu’un faux diagnostic, le TDAH est simplement trop restreint : une patiente TDAH peut absolument être autiste en plus. Dans ce cas précis, s’arrêter là me semble néanmoins moins problématique que pour d’autres troubles : dans la mesure où l’autisme et le TDAH ont tellement en commun, améliorer la qualité de vie d’une personne ayant un trouble de l’attention en réduisant l’impact de ses symptômes va effectivement travailler sur ce qui est gênant dans l’autisme.
Dans deux semaines, nous continuerons cette liste et conclurons cet article avec une série de réflexions sur les diagnostics et s’il est judicieux, ou non, de changer de professionnel soignant.
[1]Le nombre d’autistes nouvellement diagnostiqués qui ouvrent des yeux ahuris quand ils apprennent que la dysfonction exécutive, les troubles du sommeil, l’alexithymie ou la prosopagnosie sont liées à leur neurotype est choquant.
[2]Quelqu’un qui dit « j’ai l’impression de ne pas avoir les codes sociaux » mais qui a dit « bonjour » en entrant et a un job, après tout, est peut-être juste en train de se prendre la tête et n’a au fond pas de problème à ce sujet.
[3]Non pas que le traitement cessera de fonctionner après un temps, simplement, les symptômes qui n’ont pas changé vont finir par attirer l’attention.
[4]Dépression ou burn-out autistique ? Quand on sait que de nombreux professionnels français ignorent même le concept de surcharge sensorielle, on peut se poser la question.
[5]On ne l’avait pas vu venir.
[6]Je trouve cette définition un brin méprisante, à titre personnel. Comment affirmer qu’un patient n’a pas déjà fait de son mieux pour changer, ou ne rencontre pas un obstacle insurmontable ? Le fait qu’il vienne consulter un professionnel semble plutôt, à mon sens, la preuve d’une volonté de changement, bien que la personne puisse ignorer comment faire au juste.
[7]https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27autisme
[8]Le rituel est apaisant pour la personne autiste, parce que prévisible ; la personne schizotypique ou schizophrène a tendance à la pensée magique, attribuant un surplus de signification à des évènements anodins, et sa tendance aux rituels vient de là.
[9]Rappelons que 50 à 70 % des autistes ont un trouble de l’attention, à ce stade on devrait quasi systématiquement proposer de dépister les deux ensemble : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8918663/
[10]L’impulsivité du TDAH est connue pour amener des ennuis, et le manque de tact aussi commun à l’autisme n’est pas mieux.