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Femmes autistes : les errances diagnostiques - Partie 3

- Julie BOUCHONVILLE

Femmes autistes : les errances diagnostiques - Partie 3

Nous avons entamé cette série d’articles sur l’errance diagnostique de la femme autiste : il est l’heure pour nous de l’achever, en terminant la liste des diagnostics les plus souvent attribués aux femmes autiste et en réfléchissant aux actions que l’on peut prendre face au soignant qui les poserait.

Femmes autistes : les errances diagnostiques - Partie 1

Femmes autistes : les errances diagnostiques - Partie 2

La patiente a un trouble du comportement alimentaire

Celui-ci est particulièrement ennuyeux, à mon sens, parce que les autistes peuvent avoir des troubles du comportement alimentaire, mais les réduire à cela va faire perdre du temps à tout le monde, et de plus, si une personne dans la bonne cible démographique[1] est suspectée d’avoir un TCA et affirme que ce n’est pas le cas, elle ne fait que renforcer l’idée qu’elle en a peut-être un et qu’elle essaye de le passer sous silence. Il y a de quoi s’arracher les cheveux.

 

Les autistes ont un rapport à l’alimentation bien à eux ; les femmes, un rapport très influencé par la culture, et les femmes autistes, une probabilité élevée de ne pas pouvoir traiter la nourriture comme un élément décontracté et sympa de leur quotidien.

D’un point de vue purement autistique, voici quelques éléments courants qui peuvent mettre un soignant sur la mauvaise piste, a fortiori s’il imagine que certains de ces symptômes sont en fait des excuses mensongères fournies par une personne qui tient à justifier son comportement alimentaire :

– Douleurs intestinales fréquentes

– Mauvaise perception de la faim (voire, absence de perception)

– Prise de nourriture sans faim, pour la stimulation

– Oubli de manger ou refus de prendre le temps de manger lorsque la personne est occupée

– Difficulté à tolérer la sensation d’un estomac plein

– Néophobie alimentaire

– Ritualisation des repas difficile à comprendre pour un tiers[2]

 

Peuvent s’ajouter à cela des TCA « classiques » comme l’anorexie mentale, par exemple. Et bien sûr, il est pertinent d’aider la personne autiste si son comportement alimentaire lui apporte de la souffrance, mais là encore, penser que ledit comportement est le trouble majeur serait ignorer une bonne partie de la question.

 

La patiente a un trouble obsessionnel compulsif

Je conclurai cette liste par ce classique indémodable. Lorsqu’un soignant voit arriver une personne qui semble anxieuse[3] et mentionne avoir une manière ritualisée d’effectuer de nombreuses choses, rituels sans lesquels elle peut s’effondrer voire avoir la sensation qu’elle va mourir… Eh bien, il n’est pas difficile de tracer un parallèle et de se dire qu’on a affaire à un TOC. Et bien sûr, comme à chaque fois, il est tout à fait possible de cumuler les deux.

 

La patiente a un trouble… et on ne le lui dira pas

Une voie audacieuse que certains soignants n’hésitent pas à emprunter : le non-partage de diagnostic, voire le franc « non je ne veux pas vous diagnostiquer » tout en reconnaissant que les suppositions de la patiente sont valides.

Pourquoi ? Pourquoi certains soignants décident-ils d’ignorer une requête aussi simple que « j’aimerais savoir ce qui ne va pas chez moi » ? Selon les témoignages que j’ai pu recueillir, leurs motivations vont de « un diagnostic pathologiserait ce qui vous rend unique »[4] à « si je vous diagnostique, vous n’allez plus essayer de vous améliorer »[5], en passant par « je ne crois pas trop aux diagnostics ».

Je pense, à titre personnel, que ces motivations importent au final peu. Face à une personne qui désire mettre un nom sur l’expérience qu’elle vit, soit le soignant le connaît et le partage, soit il ne le connaît pas et il l’admet. Je comprends qu’on puisse donner le choix — « J’ai remarqué que quand mes patients connaissent leur diagnostic, cela a tendance à les déprimer un peu parce que les ressources en lignes sont toutes écrites sur un ton lugubre ; est-ce que vous aimeriez quand même le connaître ou est-ce qu’on avance symptôme par symptôme ? » — mais refuser une information à la personne qui la demande est, à mon sens, au mieux ignorant, au pire cruel. Cela justifie tout à fait de changer de professionnel.

 

Conclusion

Que conclure de cette litanie ? Je le rappelle ici, l’objectif n’était pas tant d’affirmer que les soignants ne connaissent rien à rien, je ne pense pas que ce soit le cas, ou qu’il faut s’en méfier, ou même que quiconque n’ayant jamais reçu l’un des diagnostics cités ici était en fait autiste.

Il est possible de se tromper, tant pour les soignants que pour nous, les personnes soignées. Il est possible de lire un article de vulgarisation qui efface certaines nuances, de se dire « wow, c’est complètement moi », et de se tromper, parce qu’on est mal renseigné. C’est normal. Tout comme il est normal pour une personne qui ne serait pas spécialisée dans l’autisme de voir arriver quelqu’un qui, statistiquement, a une plus grande chance de vivre avec le trouble Y ou W qu’un TSA, et d’être biaisée face aux symptômes listés.

 

Si ma lectrice devait se trouver dans le cas d’un diagnostic dont elle pense qu’il ne convient pas, elle n’est pas obligée d’en rester là. Je dis cela avec nuance parce que oui, il est épuisant de faire toute la démarche administrative et médicale et oui, la perspective de devoir reprendre depuis le début en changeant de professionnel a de quoi terrasser même les fonctions exécutives les plus enthousiastes.

Il est possible de changer de professionnel, certes, même si ce n’est pas aisé, mais il est aussi possible de (tenter de) faire entendre raison à un soignant. Comme les faits quantifiables sont toujours plus parlants que les impressions, la meilleure voie à suivre à mon sens est de passer un test de dépistage en ligne et de l’imprimer, résultats compris. Même si le professionnel de santé a déjà proposé un test de ce genre, il est acceptable de changer de réponses une fois qu’on a eu plus de temps pour réfléchir[6]. On pourra alors expliquer point par point pourquoi l’on a répondu ainsi, et pourquoi on pense que le diagnostic reçu est incomplet.

Un soignant qui se vexerait face à un patient lui exposant littéralement ses symptômes est de toute évidence un mauvais soignant [7], et j’encourage ma lectrice à ne plus le fréquenter.

Il est possible que, de cette conversation, le professionnel retienne quand même que non, la patiente n’est pas autiste, mais une explication plus claire, au moins, devrait émerger.

 

Je conclurai cette conclusion comme ceci : c’est OK de se tromper, et c’est OK d’avoir raison même quand les autres ont tort. Le diagnostic reste un privilège à l’heure actuelle, et c’est OK d’en vouloir, de ne pas en vouloir, d’en avoir besoin, d’être ambivalente. Face à un soignant qui ne nous convient pas, c’est OK d’en changer, même si c’est la troisième fois à la suite.

Et c’est toujours, toujours OK de vouloir être écoutée, entendue, et traitée avec dignité.

 

[1]Adolescente, blanche, classe sociale moyenne à élevée, académiquement douée.

[2]Aucun aliment d telle ou telle catégorie, refus que des aliments différents se touchent (sauf ceux pour lesquels c’est OK), ordre de consommation non négociable des aliments, …

[3]Et entre le manque de contacts visuels et la probabilité élevée qu’une personne autiste souffre réellement d’anxiété, ce n’est pas difficile de tomber juste avec cette supposition.

[4]Et si on peut faire beaucoup plus condescendant, qu’on me le dise parce que j’ai de sérieux doutes.

[5]Même remarque.

[6]On a le droit de se tromper, et je ne sais pas pour mon lecteur, mais personnellement, il y a des jours où j’ai besoin de plus d’une minute pour décider si je fais quelque chose « souvent » ou « presque tout le temps ».

[7]Note à mes camarades autistes : cela n’empêche pas de faire preuve de tact.


2 commentaires
  • j ai appris il y a quelques mois que je suis autiste leger, j ai 62ans j ai demande a ma pshy ,ce qui n allait pas chez moi, telle fut la reponse Je supporte mal les conversations des autres, je me sens reellement seule

    Fontaine le
  • Merci infiniment pour ces trois articles sur l’errance diagnostique chez la femme, sur lesquels je tombe pile au bon moment. J’erre, j’erre, j’erre… je suis écoutée mais pas entendue… j’ai de la colère, de la frustration, je ne me sens pas être prise au sérieux, le sentiment de voir mes paroles déformées pour qu’un diagnostic soit pondu afin que cela arrange les professionnels de santé, sans que j’ai la moindre possibilité de le remettre en question. Ils n’ont pas la moindre idée comme cela peut engendrer frustration, incompréhension et désarroi.

    Marguerite le

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