Intérêt spécifique mon amour
- Julie BOUCHONVILLE
Quel sujet massif et comme je suis enthousiaste de pouvoir en parler avec vous, cher lecteur ! Car c’est l’une des spécificités de l’intérêt spécifique : les autistes qui parlent adorent en parler. Les autistes qui ne parlent pas adorent en parler aussi, du reste, même s’il le font sans utiliser leur bouche. Mais qu’est-ce qu’un intérêt spécifique, au juste ?
Qu’est-ce que l’intérêt spécifique d’une personne autiste ?
C’est un centre d’intérêt, une passion ou un hobby auquel la personne autiste va se dévouer. Tous les autistes n’en ont pas, certains en ont plusieurs, et si certains intérêts sont des passions qu’une personne va entretenir tout au long de sa vie, d’autres ne dureront pas aussi longtemps.
Tout et n’importe quoi peut devenir l’intérêt spécifique d’une personne, mais quelques grandes tendances se dégagent néanmoins :
- La mécanique et plus particulièrement les systèmes de transport comme les voitures, les trains ou les avions[1]
- Les animaux, sauvages ou domestiques, éteints ou encore en vie
- Les loisirs créatifs et l’art en général
- La cuisine
- Les jeux vidéos
- Les jeux « physiques » comme les échecs, les jeux de cartes à jouer et à collectionner, le poker, le go, …
- Les films, séries, romans
- La fantasy et l’imaginaire au sens large
- Les collections : pièces de monnaies, têtes de flèches, capsules de soda, …
La liste est virtuellement infinie et comme on le voit, le centre d’intérêt peut être aussi bien un sujet à connaître par coeur qu’une activité à pratiquer.
En quoi l’intérêt spécifique diffère-t-il d’un hobby normal ?
Sous cette question se cache un « tout le monde est un petit peu autiste » mais c’est de bonne guerre. Tout le monde a des hobbys parfois très prenant et les enfants en particulier sont connus pour se prendre de passion pour des sujets divers et devenir complètement obsédés par lesdits sujets, ne parlant que de cela pendant des mois entiers au point qu’il faille parfois les supplier d’arrêter avec leurs histoires de danse classique/Pokémon/Avengers, par pitié. En quoi l’intérêt spécifique d’une personne autiste est-il différent ?
C’est parfois une question de sujet. La plupart des enfants ont une phase « dinosaures » ou « Égypte ancienne », mais combien ont une phase « dictateurs célèbres » ou « accents écossais » ? Sans doute pas tant que ça. Ceci dit, certains autistes ont des intérêts spécifiques très cohérents avec ce que l’on attend d’eux – comme un petit garçon passionné par les camions de pompiers ou une femme adulte passionnée par le maquillage – aussi le sujet seul peut être trompeur. Le vrai indicateur est plutôt dans l’intensité de la passion que la personne voue à son intérêt spécifique et la relation qu’elle entretient avec lui.
L’intérêt spécifique d’une personne autiste est son sujet préféré et elle tire un immense plaisir des moments où elle peut s’y consacrer, que ce soit lire sur le sujet, en parler avec quelqu’un, le pratiquer, collecter des informations ou simplement y penser. D’être plongée dans son étude est non seulement agréable pour elle mais aussi une source de relaxation et l’opportunité de recharger ses batteries mentales. Son intérêt peut lui servir de refuge, de prisme pour percevoir le monde et apprendre de nouvelles aptitudes.
Il n’est pas rare de rencontrer des personnes autistes ayant dépassé leurs propres limites pour pouvoir mieux pratiquer leur activité favorite, de voir de jeunes enfants mémoriser des noms complexes et des statistiques variées, de croiser des artistes et des professionnels dont toute la carrière n’a été possible que parce que leur passion leur permettait de s’investir sans limite.
A quoi sert un intérêt spécifique ?
A rien ! C’est juste pour le plaisir. J’ai lu des témoignages de parents ou adultes référents de personnes autistes se servant de l’intérêt spécifique de leur charge comme d’une récompense. Pourquoi pas, mais à condition de ne pas le prendre en otage : prévoir une sortie au musée en récompense est une chose. Interdire toute mention ou image de dinosaure tant qu’un certain seuil de bonne conduite n’a pas été atteint me semble une très mauvaise idée, quand on comprend l’attachement émotionnel intense d’une personne autiste envers son intérêt spécifique.
De même, sans priver quiconque de son intérêt spécifique, on peut encourager une personne à essayer de nouvelles choses en incluant son centre d’intérêt : travailler l’arithmétique en convertissant des recettes de cuisine, effectuer certaines tâches en musique, apprendre à gérer les temps de parole d’une conversation en parlant d’un sujet précis, …
Mon proche parle tout le temps de son intérêt spécifique. Que puis-je faire ?
Je comprends très bien que cela puisse être agaçant : à une époque, j’ai fini par faire du bénévolat auprès de classes de CM2 juste pour pouvoir parler de paléontologie à une audience captive.
Il faut d’abord réaliser que la personne qui parle non-stop de son centre d’intérêt ne le fait pas pour monopoliser la conversation ou s’isoler. Bien au contraire, c’est un désir de partage et de connexion autour d’un sujet intéressant qui la motive. Mon lecteur ne trouve peut-être pas l’histoire de la grande-tante de Hatchepsout fascinante, mais son proche autiste qui insiste pour en parler ne conçoit même pas que cela puisse être le cas.
Plutôt que de laisser un proche parler non-stop et sans l’écouter, je recommande plutôt d’essayer de guider la conversation et de ne pas hésiter à être franc sans méchanceté. Par exemple, on pourra poser des questions précises : « D’où vient l’acier qui a servi à fabriquer ce navire ? » ou « Est-ce qu’on est sûr que cet animal avait cette couleur, ou est-ce que c’est une supposition ? ». En posant une question précise et fermée, on peut avoir une interaction satisfaisante mais dont on sait qu’elle ne va pas partir dans tous les sens.
De même, sans méchanceté, il est tout à fait acceptable de faire remarquer à quelqu’un qu’on ne trouve pas un sujet aussi intéressant que lui et qu’après en avoir parlé pendant quelques minutes, on aimerait passer à autre chose. Il reste important, néanmoins, de ne pas pousser son proche à associer le plaisir de parler d’un sujet qu’il aime avec le déplaisir de son entourage.
Comment encourager un intérêt spécifique de manière constructive ?
Si mon lecteur se dit qu’il n’a aucune envie de parler de la grande-tante de Hatchepsout pendant vingt minutes mais qu’il aimerait quand même montrer à son proche autiste qu’il le soutient, des tas d’options s’offrent encore à lui !
Il est par exemple possible d’offrir des cadeaux en rapport avec la passion d’une personne, adaptés à son niveau de développement. Attention que la plupart des autistes consomment l’information assez vite lorsqu’il s’agit de leur intérêt spécifique et que certains ouvrages de référence, par exemple, ne seront pas adaptés à leur niveau d’expertise[2].
On pourra organiser des activités en rapport avec le centre d’intérêt de la personne autiste, regarder des documentaires avec elle, parfois même simplement être dans la même pièce qu’elle lorsqu’elle s’adonne à son hobby. Montrer de par son attitude que l’on approuve est déjà pas mal, après tout.
L’une des choses les plus constructives et positives que l’on puisse faire est, à mon sens, de respecter l’expertise de la personne autiste. Par là je n’entends pas forcément traiter un enfant de cinq ans comme un ingénieur spécialisé mais plutôt de reconnaître qu’une personne puisse avoir des connaissances poussées, souvent dont le niveau dépassera celui de ses proches, et que bien qu’elle soit jeune ou peu diplômée, elle n’en est pas moins calée sur son sujet. Il est parfois tentant pour les adultes de méconsidérer certains sujets qu’ils jugent trop puérils, trop abstraits ou juste pas intéressants. On peut se dire qu’une personne vraiment experte dans le domaine de la Pat’Patrouille[3] n’est au final experte en rien, mais si on transmet cette impression à la personne en question, son estime d’elle-même et sa confiance en prendront un sérieux coup. De même qu’on peut se dire que l’expertise d’une personne qui ne sait pas attacher ses propres lacets, fut-elle dans un domaine jugé « utile » comme la photographie ou la mécanique, ne vaut pas grand-chose : là encore, transmettre cette impression à la personne ne pourra que lui nuire.
C’est au contraire en lui montrant qu’on la respecte et que l’on respecte sa passion, tant via une approbation générale qu’en lui montrant que son opinion compte, qu’on encouragera la personne et qu’on l’aidera à développer de la confiance en elle-même et en nous. Quelqu’un qui réalise que ses proches ne le soutiennent pas se détournera d’eux tôt ou tard, au moins dans certains domaines.
Peut-être que cette confiance en elle permettra à la personne autiste de transformer sa passion en quelque chose de « plus constructif ». Peut-être pas. Dans tous les cas, d’être soutenus et compris a tendance à rendre les gens plus heureux, ce qui est un bon début.
Je n’ai pas d’intérêt spécifique… suis-je un faux autiste ?
A part les pancartes en carton, il n’y a pas de faux autiste, rassurons-nous. Comme mentionné en intro, la plupart des autistes ont des intérêts spécifiques, mais pas tous ! On peut très bien ne pas avoir de passion dévorante, ou en avoir plusieurs qui changent avec le temps. Quand une personne autiste a un intérêt spécifique, il est dommageable d’essayer de l’empêcher de le pratiquer et c’est pour cela que j’insiste sur la différence entre un simple hobby et une passion sincère, mais cela ne veut pas dire qu’une personne autiste sans intérêt spécifique est ratée, moins autiste ou inférieure d’une manière ou d’une autre.
En conclusion
J’espère que mon lecteur ne se lasse pas trop de ces articles où ma conclusion est essentiellement « traitons les personnes autistes comme de vraies personnes dignes de respect et d’autonomie », parce que j’en ai encore un paquet en stock. Mais oui, ici encore, c’est ma conclusion : si quelqu’un est passionné par quelque chose, c’est plutôt une bonne chose, et essayer de l’en priver, c’est pas très sympa.
N’hésitez pas à nous parler de vos intérêts spécifiques ou de ceux de vos proches en commentaire !
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[1]Mon lecteur connaît sûrement le stéréotype du petit garçon autiste obsédé par les trains. Disons qu’il y a un fond de vérité.
[2]Il m’est déjà arrivé que quelqu’un m’envoie le lien vers un article Wikipédia en pensant que cela m’intéresserait. Dans la mesure où j’avais écrit la moitié de cet article, je le trouvais en effet intéressant, mais ce n’était pas non plus une révélation.
[3]Un dessin animé où des chiots tiennent des rôles de service public de type dépannage, sauvetage en hélicoptère, réparation de voirie etc.
Bonjour et merci pour cet article.
Comme je le trouve bien écrit et intéressant, j’en lirai d’autres.
J’ai eu deux centres d’intérêts : le piano (apprentissage, enseignement, composition) et la construction longuistique (inventer des langues).
A présent, je sens que j’ai besoin de faire autre chose, de m’y plonger, d’analyser,de chercher mais mon plus gros problème est que je ne sais pas ce que je suis en train de chercher. A force, je finirai par trouver.
En tout cas, merci pour cet article et n’hésitez pas à écrire, vous le faites très bien.
Bonjour je viens d’être diagnostiqué autiste asperger . j’ai 50 ans mon point d’intérêt la fantazy .la journée je suis berger
Me
Me
Merci pour toutes ces infos très intéressantes. Mon petit fils Raphaël 9 ans est autiste léger.
Il se passionne depuis presque un an pour les bornes .Sur la route il faut les photographier , voir même s’ arrêter. les toucher , ensuite il les dessine et s’ émerveille .
Merci pour toutes ces infos très intéressantes. Mon petit fils Raphaël 9 ans est autiste léger.
Il se passionne depuis presque un an pour les bornes .Sur la route il faut les photographier , voir même s’ arrêter. les toucher , ensuite il les dessine et s’ émerveille .
Merci pour toutes ces infos très intéressantes. Mon petit fils Raphaël 9 ans est autiste léger.
Il se passionne depuis presque un an pour les bornes .Sur la route il faut les photographier , voir même s’ arrêter. les toucher , ensuite il les dessine et s’ émerveille .
Merci pour toutes ces infos très intéressantes. Mon petit fils Raphaël 9 ans est autiste léger.
Il se passionne depuis presque un an pour les bornes .Sur la route il faut les photographier , voir même s’ arrêter. les toucher , ensuite il les dessine et s’ émerveille .
Me
J’adore toujours vos articles.
En ce moments mes intérêts restreints sont tout ce qui parlent de l’autisme.
Je passe des journée à rechercher des articles, je lis des livres sur ce sujet, je suis des web conférences, fais des formations etc. mon boulot est en rapport avec les autistes, je tiens des permanences de planètes autisme Drôme/Ardèche, quelques autistes me téléphone pour discuter entre autistes, bref pratiquement toute ma journée et parfois la nuit je suis avec mon intérêt restreint.
Lorsque je stop cet intérêt dans la journée je me plonge dans un autre intérêt : les séries policières Américaines simplement pour élucider les enquêtes.
Un intérêt restreint est très important lorsque l’autiste en a.
Pour moi ça me déstresse et m’évite de faire des crises autistique pour telle ou telle raison. Et si je suis en crise : hop une série policière Américaine, elle me fait beaucoup de bien et fait tomber la pression dû à la charge de la crise.
Je suis célibataire, l’enfant qui est grand n’est plus à la maison, donc je n’embête personne si je consacre mon temps aux intérêts restreints. J’arrive à ne pas oublier de me laver, manger etc.
Quand à en discuter avec d’autres personnes, j’avoue que ce sujet n’intéresse pas grand monde, sauf les autistes.
Bien souvent les conversations d’autres gens ne m’intéresse pas vraiment, mais je fais quand même l’effort de les écouter, alors pourquoi ils ne font pas pareil.
Continuez à écrire pleins d’autres articles sur l’autisme, je serai toujours une fidèle lectrice.