La douleur chez la personne autiste - Partie 2
- Julie BOUCHONVILLE
La semaine dernière, nous avons abordé le sujet de la prise en charge de la douleur chez la personne autiste. Après avoir déterminé ce qu’était la douleur au juste, nous avons commencé à examiner les raisons qui peuvent faire qu’une personne autiste a du mal à communiquer à son entourage et au personnel soignant que quelque chose ne va pas, et dans quelle mesure.
Reprenons là où nous nous sommes arrêtés :
Nos proches peuvent minimiser nos réactions
Étant moi-même quelqu’un qui pleurait une fois sur deux quand on me brossait les cheveux, je sais que notre comportement peut fausser la grille d’évaluation de notre entourage. Oui, il nous arrive de péter les plombs pour de “tout petits” stimulus, et il peut être tentant de penser que si c’est le cas, alors nos réactions peuvent être prises avec un grain de sel. Si quelqu’un pleure lorsqu’il entend le jingle de la SCNF, après tout, il est cohérent de penser que s’il dit avoir mal mais n’en est pas encore aux larmes, ce n'est pas bien méchant.
Comment nous aider ?
Il faut toutefois comprendre que ce ne sont pas les mêmes situations. Si une douleur se déclenche puis augmente de manière insidieuse, par exemple, ou si elle est assez intense pour que nous dissocions immédiatement, ou simplement si sa nature est très différente des stimulus qui nous font d’ordinaire réagir, nous n’allons pas avoir les mêmes comportements que ceux dont notre entourage a l’habitude. Il est donc important de ne pas minimiser. Je ne veux pas dire par là qu’il faut courir aux urgences dès que quelqu’un a l’air incommodé, mais si un proche dit avoir mal ou donne l’impression que quelque chose ne va pas, il est important de collecter plus d’informations et de ne pas prendre la situation avec légèreté.
Nous n’aimons pas aller chez le médecin ou attirer l’attention sur nos besoins
Deux notions proches l’une de l’autre. D’abord, nous n’aimons pas aller chez le médecin – je ne dis pas qu’il n’existe personne d’autiste qui s’entende bien avec son médecin, ou que les neurotypiques adorent poireauter dans les salles d’attente, bien sûr, mais en règle générale, si nous pouvons éviter de bousculer notre routine pour aller chez le médecin, nous le faisons.
De plus, de nombreux autistes ont été habitués à ce que leur autonomie corporelle et leurs ressentis soient ignorés. N’oublions jamais que quand quelqu’un dit « Les lumières me font mal aux yeux » et qu’on lui répond qu’il exagère, on lui apprend effectivement à ignorer les signaux d’alerte que lui envoie son cerveau. Et je ne parle même pas des situations où nous sommes punis pour avoir attiré l’attention sur nous, si nos motivations sont jugées insuffisantes.
Si l’on prend en compte ces deux notions, on comprend que même si une personne autiste remarque qu’elle a mal et qu’il serait utile d’y faire quelque chose, que même si elle pourrait décrire ce qu’elle ressent à quelqu’un susceptible de lui venir en aide, elle peut choisir de ne pas le faire car elle suppose que la situation finale serait pire que ce qu’elle vit à l’instant T.
Comment nous aider ?
En nous écoutant lorsque nous nous exprimons, bien sûr. Mais aussi en nous facilitant la vie : téléphoner pour nous en amont d’une visite physique, nous accompagner chez le médecin ou aux urgences, nous aider à identifier les documents importants à emmener, etc.
Nous pouvons réagir différemment aux antidouleurs
Je prends ce point avec des pincettes car j’ai eu du mal à trouver une étude sur la question. Si on peut affirmer que les autistes ne vivent pas forcément la douleur comme les non-autistes[1], la question de la médication est plus délicate.
De nombreux témoignages de personnes autistes semblent aller dans le sens suivant : certains autistes réagissent plus que les non-autistes à certaines substances médicamenteuses, et d’autres y réagissent moins. Ce n’est pas un fait avéré, mais c’est en tout cas souvent évoqué au sein des communautés autistes.
Si cela est vrai[2], cela amène un problème supplémentaire lorsque l’on cherche à être pris au sérieux par une équipe médicale. Soit le patient ne réagit pas à une dose d’analgésique qui devrait suffire, poussant peut-être l’équipe à le suspecter d’un problème d’addiction et de mentir sur sa douleur, soit le patient annonce se sentir parfaitement mieux après une très faible dose, poussant l’équipe à suspecter qu’il exagérait sans vergogne quand il disait avoir très mal.
Comment nous aider ?
Honnêtement ? Je ne sais pas.
Si on a déjà remarqué une hyper ou une hyposensibilité aux substances, il peut être utile de le mentionner, mais le personnel soignant a en général des consignes précises à respecter sur les prescriptions médicamenteuses et ne va pas les jeter par la fenêtre juste parce qu’on lui a gentiment demandé. A part espérer tomber sur quelqu’un de compréhensif qui sera prêt à augmenter une dose ou prescrire une molécule différente, je ne suis pas convaincue qu’il y ait grand-chose à faire.
En bref
Oui, nous ressentons la douleur. Nous pouvons avoir des difficultés à nous en apercevoir, à l’exprimer ou à en convaincre quelqu’un d’autre, mais oui, nous souffrons. Lorsque cela nous arrive, nous avons besoin d’être soignés, que ce soit pour améliorer notre confort si la douleur est le seul problème, ou pour résoudre la cause sous-jacente si la douleur n’est qu’un symptôme.
J’encourage mon lecteur qui serait le proche d’une personne autiste à ne pas minimiser une douleur qui semblerait ne pas vouloir passer – même s’il arrive à ladite de personne de pleurer quand on lui brosse les cheveux. J’encourage plus encore mon lecteur autiste à consciemment vérifier comment va son corps, et à prendre au sérieux une douleur inattendue. Les témoignages d’autistes arrivant aux urgences à deux doigts de la septicémie ou avec un organe désormais HS parce qu’ils ont ignoré une douleur pendant deux ou trois jours ne sont pas rares, et avouez que ce serait bête.
[1]Par exemple, nous ressentons plus facilement de l’anxiété liée à la douleur : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33235944/#:~:text=Pain%20anxiety%20(PASS%2DTotal),reciprocally%20in%20adults%20with%20ASD.
[2]Et c’est un gros « si », comme je l’ai dit il ne semble pas y avoir de littérature scientifique sur ce sujet précis, ou très peu.