La régression chez la personne autiste
- Julie BOUCHONVILLE
Quand on parle de régression dans le cadre de l’autisme, on fait en général référence à l’un ou l’autre de deux phénomènes possibles :
- La perte ou moins bonne maîtrise soudaine d’une capacité qu’on croyait acquise, par exemple une personne capable de parler avec sa bouche et qui devient mutique
- Un enfant se développant « normalement » jusqu’à ses 15 à 30 mois environ, puis qui semble perdre tous les acquis (les contacts visuels cessent, les vocalisations diminuent, l’enfant semble ne plus réagir à son entourage, la motricité se réduit, etc).
Quels sont les mécanismes derrière ces évolutions ? Quel est leur impact sur le long terme ? Est-ce courant ? Penchons-nous sur ces questions.
La régression à tous les stades de la vie
Une personne autiste peut, à tout moment de sa vie, perdre une compétence qu’elle possédait pourtant, a fortiori si cette compétence a été acquise récemment.
Pourquoi ? Parce que c’est un truc qui arrive à tout le monde. Lors d’épisodes de stress intense, face à un danger, en réaction à une forte fatigue, etc, nous perdons une partie de nos capacités. Il est courant, par exemple, que les personnes en burn-out déclarent être incapables de se concentrer suffisamment pour lire un roman. Les personnes bilingues, confrontées à une situation d’urgence, peuvent avoir des difficultés sérieuses à s’exprimer dans l’une des langues qu’elles parlent pourtant couramment. Une personne traversant un épisode dépressif peut ne plus ressentir la faim et ne pas avoir assez de fonction exécutive pour se préparer à manger même si elle en avait envie, perdant ainsi effectivement en indépendance.
Est-ce que cela va impacter le futur de la personne qui a temporairement perdu en compétences ? En toute probabilité, non. Comme je viens de le dire, cette situation est temporaire et liée à des facteurs précis : stress, déséquilibre neurologique, besoins non comblés, etc. Une fois les problèmes résolus et la personne ayant eu l’opportunité de recharger ses batteries (ce qui, dans le cas d’un burn out par exemple, peut prendre un moment), il n’y a pas de raison de penser qu’elle ne pourra pas reprendre là où elle en était.
La régression chez le petit enfant
J’avais abordé cet élément lors de mon article sur les changelins[1]. Il semblerait que le phénomène soit assez répandu, au moins dans la sagesse populaire : un enfant se développe en accord avec les prévisions classiques. Il sourit, apprend à marcher, commence à gérer sa petite cuillère lors des repas, pointe des objets du doigt, rit par empathie, etc, … Jusqu’au jour où il ne le fait plus. Ce jour semble survenir quelque part entre le 15ème et le 30ème mois. Le phénomène est graduel mais très nettement notable, et à la fin de cette régression, on est passé d’un enfant « normal » à un enfant « visiblement autiste ». Et personne n’a l’air de savoir pourquoi.
Le concept paraît terrifiant. Et si on en croit les études sur la question, environ un enfant autiste sur trois[2] connaîtrait au moins un épisode de régression. Peut-on, dès lors, affirmer qu’un enfant autiste sur trois paraissait totalement neurotypique avant un épisode fatidique de régression ? Les familles non-autistes doivent-elles se mettre à trembler ?
Non. D’abord, parce qu’être autiste n’est pas si grave.
Ensuite, parce que la notion d’un enfant paraissant neurotypique à tous points de vue jusqu’à ses deux ans révolus et se transformant ensuite en l’ombre de lui-même n’ayant plus aucune compétence, c’est un mythe, une exagération. Dans la majorité des cas, les enfants autistes montrent des signes dès leur plus jeune âge, et même si un enfant peut perdre une ou plusieurs compétences qui semblaient acquises, il ne les perd pas toutes, et il continue d’en acquérir d’autres[3].
Ce qui ressort de la littérature sur la question de la régression, c’est surtout que personne ne parvient à démontrer de manière définitive qu’il se passe vraiment quelque chose, et que personne n’est d’accord sur la définition même de la régression[4]. Si un enfant ne répond plus à son nom mais que ses compétences motrices continuent de se développer, a-t-il régressé ?
Et tout cela passe aussi par le prisme de l’interprétation des parents, qui de par leur implication émotionnelle sont rarement objectifs. Le biais de confirmation est un phénomène auquel nous sommes tous soumis ; si on soupçonne qu’un enfant a un vocabulaire moins riche qu’il y a deux semaines, non seulement c’est difficile à évaluer mais en plus on peut très bien s’en convaincre malgré notre bonne foi.
Réagir à la perte de compétence
C’est terrifiant et complètement de la merde. Je crois que la notion fait consensus. Il est important de l’admettre et de ne pas faire semblant que cela n’a aucune importance. Qu’on soit le proche de la personne concernée ou cette personne elle-même, perdre en compétence est toujours difficile.
Il me semble important, néanmoins, de ne pas laisser l’arbre cacher la forêt. La personne concernée a d’autres domaines d’apprentissage, d’autres compétences, et il est important de les reconnaître et, si cela s’applique, de continuer de les améliorer. Essayer de retrouver la compétence perdue est pertinent, mais pas huit heures par jour.
Enfin, méfions-nous des personnes qui semblent vouloir nous faire peur. Quelqu’un qui insiste que les personnes autistes peuvent, à tout moment, perdre tous leurs acquis et peut-être même ne jamais les retrouver, est en train d’affirmer une chose fausse. Demandons-nous quel est son intérêt, et restons sceptiques.
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[1]https://bienetreautiste.com/blogs/infos/le-mythe-de-l-enfant-remplace
[2]https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33491292/
[3]https://www.cambridge.org/core/journals/development-and-psychopathology/article/abs/patterns-of-skill-attainment-and-loss-in-young-children-with-autism/184567E72DCF9C5A376C5B710E7191C2
[4]https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33491292/
C’est faux lorsque on voit le cas des jumelles ou jade a régressé à 24 mois et qu il aura fallu de nombreuses années pour qu elles puissent ressortir un mot
Merci. J’ai été diagnostiquée HP à 51 ans et autiste asperger à 56 ans, et je me demandais d’où venaient ces “trous noirs” sur des compétences pourtant bien acquises, plus nombreux dans ma jeunesse d’ailleurs.