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La vérité sur le lien entre autisme et écran - Partie 1

- Julie BOUCHONVILLE

La vérité sur le lien entre autisme et écran - Partie 1

Les écrans sont-ils impliqués dans l’explosion des diagnostics d’autisme ? Un enfant neurotypique risque t-il de devenir autiste en passant trop de temps devant un smartphone ? Peut-on guérir un TSA en éloignant la personne de cette terrible menace technologique ? Que nous cachent les fabricants ?

 

J’ai toujours rêvé d’écrire un article à l’intro totalement putaclic. Maintenant que c’est fait, rétablissons la vérité.

 

L’épidémie d’autisme et de technologie

Oui, on diagnostique en France de plus en plus de cas d’autisme. Et oui, nous avons tous beaucoup plus d’écrans dans nos maisons, entre les smartphones, les tablettes, les télés, les ordinateurs, etc. Il serait tentant d’y voir un lien, a fortiori parce que l’on sait que les enfants ont une tendance indéniable à être attirés par ces objets.

Rappelons néanmoins que depuis 2013, la consommation mondiale de vanille a baissé d’environ 20 %, sans que personne ne soit tenté d’attribuer un rôle protecteur contre l’autisme à cette épice du reste délicieuse. De même, la température mondiale n’a cessé d’augmenter graduellement depuis 1880, et le chien de race préféré[1] des Français est passé du Berger Allemand (2010) au Berger Australien (2022), toujours sans causalité dans un sens ou dans l’autre avec l’autisme.

La covariation, c’est bien gentil, mais nous connaissons ses limites[2].

 

Les enfants sont accros aux écrans

Mon argument précédent était un raisonnement par l’absurde, ce qui est un ressort argumentatif un peu naze, je l’accorde bien volontiers. Il est vrai, en revanche, que nous avons tous vu, ou entendu parler d’enfants qui passent des heures et des heures rivés à un écran, semblent sourds aux sollicitations externes, gèrent mal leur frustration, semblent obsédés par leurs activités en ligne, n’ont que peu de vie sociale en face à face, etc.

Pire, on entend de plus en plus parler de tout-petits présentant des troubles du développement en conjonction avec un temps d’écran complètement disproportionné par rapport à leur âge : retard de parole, difficultés avec la permanence des objets, émotions explosives, comportements répétitifs pendant des heures, etc. Et ça, ça ressemble quand même de près à l’autisme, non ?

 

Pour faire simple : non. L’autisme est un mode de fonctionnement neurologique, il est présent dès la naissance, il correspond à des facteurs génétiques aussi bien qu’environnementaux, et on ne peut pas prendre une personne neurotypique et la rendre autiste juste en lui montrant beaucoup d’épisodes de Peppa Pig[3]. Comme nous le verrons plus loin, certains comportements peuvent évoquer l’autisme, mais gardons à l’esprit qu’une ressemblance telle que constatée par un observateur externe ne revient pas au même qu’un neurotype tel que vécu par la personne concernée.

 

De même, toute affirmation que « les jeunes/enfants sont accros aux écrans » est en général un aveu d’ignorance tant vis-à-vis de la technologie que des enfants eux-mêmes, et ce pour plusieurs raisons :

1) Tous les enfants et adolescents n’ont pas le même comportement par rapport aux écrans, il est donc incorrect de les mettre tous dans le même sac

2) Tous les écrans ne sont pas identiques, ne proposent pas les mêmes activités, ne sont pas faits pour être utilisés de la même façon[4]

3) L’addiction est une pathologie assez précise, nécessitant plusieurs critères pour être qualifiée comme telle, et s’il est tentant de dire qu’une personne est « accro » dès qu’elle a une utilisation intensive ou régulière d’un élément, c’est un raccourci mental que nous ne devrions pas emprunter

 

Les tout-petits et les écrans

À l’heure actuelle, voici les recommandations de l’OMS relatives au temps d’écran maximum[5] :

– Avant deux ans : jamais d’écran, que ce soit télévision, jeu vidéo, vidéo YouTube, etc.

– Deux ans à quatre ans : une heure quotidienne maximum, en évitant de la consommer en une fois

 

À titre personnel, j’applique avec les enfants avec lesquels je travaille une politique stricte de zéro écran avant trois ans, et à partir de trois ans, pourquoi pas un dessin animé ou un jeu vidéo de temps en temps, mais uniquement dans des circonstances où les autres options ne sont pas disponibles[6] [7].

 

Pourquoi ? Les écrans sont-ils secrètement maléfiques ? Non, bien sûr, mais le cerveau des jeunes enfants est encore en construction, et chez les tout-petits, il travaille tout particulièrement à la conceptualisation de ce qui est réel. Aucun cerveau, enfant ou adulte, n’est capable de faire la différence entre une simulation réaliste, par exemple un film très immersif, et la réalité : c’est pourquoi on peut avoir peur en lisant une histoire d’horreur, quand bien même on sait que ce n’est qu’une histoire.

Néanmoins, en tant qu’adultes, nous savons que si nous cachons un objet, il est toujours là, juste invisible, tout comme nous savons qu’il existe une différence fondamentale de réalité entre la photo d’une pizza, et la pizza elle-même : elle est plate, en 2D, nous ne pouvons pas la manger, elle ne sent rien, etc. Pour le cerveau d’un bébé, rien de tout ceci n’est correct. Les histoires sont vraies, les photos sont vraies, les choses qui sont cachées disparaissent, etc. : leur notion du réel n’est pas encore construite. Leur faire consommer des images projetées sur un écran, et donc leur montrer des choses qu’ils ne peuvent pas toucher et qui disparaissent pour de bon dès que l’écran est éteint, c’est potentiellement retarder l’apparition de leur capacité à comprendre la réalité.

 

Ensuite, il faut réaliser que le temps d’écran remplace toujours autre chose. Un petit enfant n’a que quelques heures par jour où il n’est pas en train de manger ni de dormir. Ces heures devraient idéalement être occupées à bouger son corps, développer sa motricité, découvrir et manipuler des objets, interagir avec d’autres humains, développer et tester des hypothèses relatives à ce qui l’entoure, etc. S’il reste allongé ou assis à fixer un écran, il perd des opportunités de développer son corps et son cerveau — non pas que le but ici soit une espèce de recherche capitaliste de la productivité, mais plutôt de comparer un temps d’écran, qui n’apporte rien à l’enfant, peut-être même pas de la satisfaction car ce n’est pas comme si les tout-petits pouvaient suivre une intrigue ou même bien comprendre ce qu’ils voient, et du temps de jeu/exploration, qui développe l’enfant et lui donne de la satisfaction.

 

Enfin, comme je viens de l’aborder, les tout-petits n’ont tout simplement pas le cerveau pour réellement apprécier ce que l’on pourrait leur montrer sur un écran. Dans leurs premiers mois, leur vue n’est pas très bonne, et même par la suite, ils ont du mal à suivre ce qui se passe. Ils vont en général trouver les mouvements fascinants et peuvent très tôt manifester de l’intérêt pour un objet virtuel qui suivrait la trajectoire de leur doigt, mais à ce stade une feuille et un feutre font aussi bien l’affaire.

 

Dès la semaine prochaine, nous développerons ces sujets et aborderons les problèmes spécifiques qui peuvent exister chez les plus jeunes lors d’une surconsommation d’écran.

 

[1]Basé sur le nombre d’inscriptions de chiots au LOF.

[2]Quand bien même une étude démontrerait que la probabilité de diagnostic de TSA augmente avec le temps d’écran entre 0 et 5 ans, cela ne prouverait rien, parce que ce serait toujours de la covariation.

[3]Je ne blâme pas Peppa Pig en particulier, soyons clairs.

[4]Je n’ai encore vu personne qui se roulait par terre quand son enfant lisait des livres sur liseuse ou voulait comprendre comment fonctionnait l’affichage digital du micro-onde, or ce sont des écrans eux aussi.

[5]Sous-entendu : si l’enfant a un temps d’écran inférieur, c’est mieux

[6]Le combo « tout le monde est malade, il pleut et on a déjà écouté la boîte à histoires trois fois », par exemple.

[7]Il est à noter que je travaille rarement avec des enfants de plus de dix ans, aussi cette politique est limitée à cette tranche d’âge. S’il me semble inepte de laisser un bébé jouer avec un smartphone, il est tout aussi ridicule de limiter un ado de seize ans à une heure d’écran par jour.


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