La vérité sur le lien entre autisme et écran - Partie 2
- Julie BOUCHONVILLE
La semaine dernière, nous avons ouvert le feu avec un bref détour du côté de l’addiction aux écrans de la plus jeune génération — addiction imaginaire qui tient plus de la panique morale qu’autre chose — et examiné les temps d’écran recommandés pour petits. Aujourd’hui, abordons la question des problèmes que peut amener un excès de temps d’écran.
Une surconsommation d’écran peut-elle avoir des effets négatifs ?
Oui, bien sûr. Comme je l’ai dit plus haut, le temps d’écran empiète sur le temps de développement, il est donc évident que passer plusieurs heures par jour à ne rien faire[1] va avoir des conséquences tôt ou tard. Je pense aussi qu’il nous faut prendre le problème avec une vue d’ensemble. Souvent, on présente la notion d’un petit enfant consommant des jeux vidéos ou des dessins animés cinq heures par jour comme si la situation était arrivée ex nihilo, mais le fait est qu’un enfant de deux ans ne possède pas de smartphone et ne sait sans doute pas allumer un ordinateur tout seul, du moins si on ne le laisse pas à sa portée. Cela suggère que cet enfant vit avec des adultes de référence qui sont satisfaits de ne pas s’occuper de ses besoins ni passer du temps avec lui cinq heures par jour, et à mon sens, le cœur du problème est là.
Un enfant, potentiellement victime de négligence, passant plusieurs heures par jour non pas à interagir avec des humains ni à réfléchir mais à fixer des images qui bougent, va-t-il présenter des troubles du comportement et des retards d’acquisition ? J’ai envie de dire que le contraire serait étonnant. Pas parce que les écrans rendent autistes. Parce que ne rien faire de développant mène à des retards de développement.
Notons que les jeux vidéos appropriés tiennent une place un peu à part : la question ne se pose pas pour les tout-petits, mais dès trois ou quatre ans, par exemple, il peut être pertinent de proposer à un enfant de jouer à des jeux adaptés à son âge et son niveau de développement. Les jeux impliquent souvent de la réflexion, de la résolution de problème et au moins une certaine forme d’empathie, et développer ces aptitudes est tout à fait pertinent. Les limitations qu’il faudra imposer sur leur pratique vont surtout être liées à l’état émotionnel de l’enfant, d’une part, et à sa posture statique. Il est important que les humains ne restent pas trop sédentaires au cours de la journée, et ceci est aussi valable pour les enfants : on peut résoudre le problème en proposant un jeu qui se joue debout, ou faire des pauses régulières pour bouger un peu.
S’assurer que l’enfant passe un bon moment est aussi capital : si on voit qu’il se frustre, qu’il commence à s’agacer sur les difficultés ou qu’il se lasse d’une mécanique un peu répétitive, on peut lui proposer de faire une pause et de reprendre plus tard ou de passer un obstacle pour lui. À noter qu’un petit enfant ne pourra pas forcément répondre, alors qu’un préado sera susceptible de rétorquer qu’il a surtout besoin qu’on lui fiche la paix le temps de finir quelque chose.
Quels retards de développement peut-on constater chez un enfant ayant trop de temps d’écran ?
– Pas ou peu de contacts visuels
– Difficulté à « lire » les visages humains, à comprendre les émotions et les expressions, à suivre le regard
– Mauvaise compréhension des aptitudes sociales, de comment se comportent les humains au sens large
– Difficulté à gérer l’ennui et/ou la frustration
– Dysfonction exécutive, difficulté dans les processus de réflexion
– Fréquente surstimulation, rendant l’enfant hypersensible aux nouveaux stimulus sensoriels ou mentaux
– Perturbation du cycle du sommeil
Comme on le voit, ce profil évoque fortement l’autisme, et il est assez logique, bien que déplorable, que le grand public en soi venu à se demander si un lien de cause à effet pouvait exister. De nouveau, il s’agit ici d’un ensemble de troubles dus à un environnement précis et pathologique, ce qui ne revient pas au même qu’un neurotype différent.
Le cas particulier du trouble de l’attention
Le TDAH, je le rappelle, est l’une des comorbidités les plus courantes de l’autisme, et il est donc fréquent de rencontrer une personne qui vivrait avec les deux troubles[2].
Il est souvent admis, par une sorte de conscience collective, que les écrans et plus précisément les smartphones, sont responsables ou du moins impliqués dans un processus de perte graduelle de la capacité de concentration et/ou d’attention que peuvent expérimenter de nombreux jeunes adultes[3]. Si on admet que les écrans ne rendent pas autiste, il reste néanmoins difficile de nier que les smartphones nous empêchent de nous concentrer et, en nous proposant des contenus toujours plus courts sur lesquels nous focaliser, nous transforment peu à peu en poissons rouges[4] métaphoriques.
C’est pourtant ce qu’il nous faut faire : d’abord parce qu’aucune étude ne suggère qu’il existe un lien entre la possession ou l’usage d’un smartphone et un quelconque trouble de l’attention, quand bien même on consommerait de nombreux contenus très courts, ensuite parce que rien ne suggère même que les humains de 2023 se concentrent moins bien que les humains d’une autre époque.
Il est en revanche vrai que nous vivons tous dans un monde plus distrayant, ce qui peut donner l’impression, en particulier pour celles et ceux qui sont sensibles à la distraction, que notre attention s’est réduire ou fragmentée. La cause est ici l’environnement, pas une quelconque dégradation de nos cerveaux ou processus cognitifs.
De même, si une personne devait ressentir qu’elle a bel et bien perdu de la capacité de concentration par rapport à, par exemple, son enfance, plusieurs explications n’ayant rien à voir avec son smartphone existent : d’abord, la plus évidente, est qu’un enfant a simplement moins de choses à l’esprit qu’un adulte. Oui, il a ses cours, ses amis et ses activités extrascolaires, mais la majorité des enfants vivent sans la charge mentale de gérer les repas et le ménage, de devoir payer des factures, renouveler des abonnements, prendre des rendez-vous médicaux, maintenir un budget, organiser des vacances, etc.
Ensuite, plusieurs troubles ou pathologies impactent bel et bien notre capacité à nous concentrer : le TDAH, bien sûr, mais aussi le trouble anxieux, la dépression et la schizophrénie, pour ne citer que ceux-là. Éprouver des difficultés d’attention durant un épisode dépressif alors qu’on n’en avait pas particulièrement quelques semaines plus tôt est normal, et la cause en est bien l’épisode dépressif, pas les cent vingt-six épisodes de New York Police Judiciaire qu’on a consommés parce qu’on n’arrivait plus à sortir du lit.
Donc non, nos smartphones ou nos écrans n’affectent pas notre capacité à nous concentrer. En revanche, ils sont sources de distraction, et il peut être pertinent pour une personne se sachant aisément distraite de passer à des alternatives analogiques pour certaines fonctions de son smartphone, si elle pense que ça lui éviterait de trop souvent se retrouver sur TikTok.
La semaine prochaine, nous discuterons des bénéfices qu’une personne autiste peut peut-être retirer d’une réduction de son temps d’écran.
[1]On notera que je mets ici les jeux vidéos appropriés un peu à part, j’en parlerai en détails plus bas.
[2]Comme votre dévouée.
[3]Processus souvent mis en évidence comme ceci : enfant, vous pouviez sans doute retenir des leçons, lire deux romans par semaine pour le plaisir, mémoriser le numéro de portable de votre mère et de vos amis les plus proches, et garder dans votre esprit la carte complexe des alliances et des disputes d’une douzaine d’autres enfants. Aujourd’hui, adulte, vous ne parvenez pas à lire plus de dix minutes, et vous ne connaissez toujours pas le numéro de votre carte bleue malgré tous vos achats en ligne. Clairement, quelque chose s’est dégradé en cours de route.
[4]Parenthèse naturaliste : il est absolument erroné de dire que les poissons ont une mauvaise mémoire, à court ou à long terme. Leurs capacités de mémorisation ne sont pas phénoménales mais 1) il est difficile de mettre en lumière les processus mentaux des poissons et 2) les tests qui y parviennent démontrent que les poissons se souviennent très bien de ce qu’il leur faut retenir.