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Le camouflage social - Partie 1

- Julie BOUCHONVILLE

Le camouflage social - Partie 1

En cette période où tout le monde porte un masque, peut-être est-il temps de parler de l’autre masque. Celui qui est plus discret, plus difficile à enlever, et que beaucoup d’autistes portent, souvent même sans s’en rendre compte.

Vous l’avez compris, aujourd’hui on va parler de camouflage social ou masking, et c’est un gros morceau alors accrochez-vous.

 

Qu’est-ce que le camouflage social chez l’autiste ?

Pour schématiser, le camouflage social est un ensemble de comportements, de pratiques et d’attitudes que la personne autiste va mettre en place dès son plus jeune âge pour paraître normale. C’est un décalage entre l’image qu’une personne autiste projette et la manière dont elle se sent à l’intérieur d’elle-même.

Ces stratégies sont au moins partiellement involontaires et leur coût est élevé pour quiconque les met en œuvre : fatigue mentale, bien sûr, pouvant aller jusqu’au burn-out autistique[1], mais aussi à terme la sensation de ne pas savoir qui l’on est vraiment, un risque de dépression et de troubles anxieux plus élevé, et la probabilité d’un diagnostic plus tardif qui mène à un retard dans l’accès à des stratégies d’aide plus efficaces et bienveillantes.

 

Camouflage social chez les populations non-autistes

Une fois n’est pas coutume, je suis la première à mettre en avant l’argument que tout le monde utilise le camouflage social dans une certaine mesure. Les personnes qui travaillent dans la vente, par exemple, développent une attitude spécifique pour le bénéfice des clients. La plupart des gens ne parlent pas à leur boss comme à leurs collègues ou à leurs beaux-parents comme à leurs amis d’enfance. Les humains sont des créatures profondément sociales, je pense que je ne l’apprends pas à mon lecteur, et toutes nos dynamiques sociales ne sont pas identiques. Il est normal et sain de s’adapter à une situation pour rendre l’échange aussi efficace que possible.

Le masking chez les autistes est cependant différent, si pas sur son principe au moins sur sa fréquence : les personnes autistes, en particulier les personnes qui n’ont pas de diagnostic et pensent donc qu’elles sont « juste bizarres », vont utiliser le camouflage social en permanence. Mon lecteur a peut-être déjà ressenti un certain soulagement en sortant de l’église lors d’un mariage, lorsque tout le monde se retrouve sur le parvis et peut discuter et partager toutes les bêtises qui lui sont passées par la tête ? C’est le soulagement de la fin de la contrainte, la fin d’un camouflage social particulièrement contraignant où chacun faisait un effort pour paraître sérieux, discipliné, peut-être même pieux.

La personne autiste qui utilise le masking ne peut pour ainsi dire jamais ressentir ce soulagement. Les seuls moments où elle peut poser son masque de personne normale est lorsqu’elle est seule – et encore, car si elle convaincue qu’elle devrait arrêter d’être « bizarre », il se peut que même seule elle continue de faire un effort de camouflage.

 

Le camouflage social chez le jeune enfant autiste

Être un humain s’apprend. Chez un enfant neurotypique élevé dans un environnement sain et bienveillant, le développement du cerveau et les interactions sociales s’associent et font émerger tout un tas de comportements. Dès deux mois, un nourrisson peut retourner un sourire. Dès huit mois, l’enfant peut suivre le regard de son adulte de référence pour observer ce qui attire l’attention de l’adulte. Dès un an, l’enfant montrera des signes de fierté lorsqu’on le félicitera ou semblera triste en réponse aux larmes de quelqu’un d’autre.

Les enfants veulent être aimés et acceptés. Je ne dis pas par là que leur plus grand désir dès la naissance est de recevoir le même genre d’attention qu’une rockstar en plein concert[2], mais simplement que l’intégration sociale, d’abord dans le cercle familial et ensuite auprès des pairs, est l’une des priorités de n’importe quel animal social, humains y compris. Les autistes ne font pas exception : ils ne savent pas toujours comment faire pour s’intégrer mais ils n’en ont pas moins envie que les neurotypiques. Ils peuvent renoncer à jamais atteindre cet objectif après des années de rebuffade mais ce n’est que de l’impuissance apprise, pas la preuve d’un moindre besoin de sociabilité.

Tous les enfants, dès qu’ils en sont physiologiquement capables, adaptent leur comportement pour satisfaire leurs adultes de référence. Même des enfants beaucoup trop jeunes pour avoir ce qu’on appellerait des comportements de manipulation le font : un enfant de deux ans est trop jeune pour avoir une réflexion de type « je vais agir de telle façon parce que je sais très bien que c’est ainsi que ma tante veut que j’agisse et son approbation compte beaucoup pour moi ». Le même enfant va en revanche tout à fait adapter son comportement, jouer avec les jouets dont sa tante approuve, sortir le charme ou au contraire se montrer stoïque en fonction de ce que ses précédentes expériences avec sa tante lui ont appris. Et si un autre membre de la famille prend la relève de sa tante, l’enfant adaptera son comportement à cette nouvelle personne.

Là où je veux en venir, c’est que dès qu’ils en sont capables, les enfants font le maximum pour obtenir l’approbation de leurs adultes de référence. Je ne prétends pas connaître le pourquoi de la chose, mais je soupçonne que c’est l’une de ces petites astuces que l’évolution a sélectionnées pour éviter qu’on abandonne trop souvent notre progéniture dans les bois.

Quel impact sur les enfants autistes ? Bonne question ! Sans doute que certaines injonctions sociales leur passent un peu au-dessus mais il n’y a aucune raison de penser que dès qu’ils réalisent ce qu’on attend d’eux, ils ne se mettent pas au travail pour satisfaire leurs adultes de référence avec le même enthousiasme que les neurotypiques.

Quel genre de parent approuve des comportements autistiques ? Aucun, bien sûr. Quand les manuels vous promettent un enfant de quinze mois qui court partout et que le vôtre se casse la figure tous les deux pas parce que sa motricité n’est pas au top[3], vous n’approuvez pas. L’enfant le voit. L’enfant note toutes les occasions où son parent désapprouve, est déçu ou perplexe. Pas en termes aussi précis qu’un adulte le ferait, bien sûr, mais assez pour essayer d’adapter son comportement.

Mon lecteur voit à ce stade ce que je veux dire. Les enfants autistes apprennent le camouflage social dès leur plus jeune âge.

Il est évident que tous les enfants, quel que soit leur neurotype, doivent apprendre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, et ce faisant doivent abandonner certains comportements qui leurs sont instinctifs : frapper pour évacuer la frustration ou la peur, saisir ce que l’on désire, recracher ce qui nous déplaît sont autant d’instincts que la plupart d’entre nous ont dépassés.

La différence que je fais ici est entre le comportement qui fera du mal aux autres et celui qui est inoffensif. Frapper autrui lorsqu’on est en colère ou lui prendre sa possession sont des comportements nuisibles. Jouer en alignant ses jouets ou s’apaiser avec un stim sont des comportements neutres. Là est toute la nuance.

 

Les différences liées au genre dans la pratique du camouflage social

Il existe des différences liées au genre dans la pratique du masking, mais elles doivent être prises avec des pincettes. L’autisme a, pendant des années, été considéré uniquement du point de vue masculin : les critères de diagnostic étaient basés sur l’observation exclusive de garçons et de ce fait, les attentes liées au genre se sont mêlées de la partie. Cet état de fait est à peine en train de changer.

De même, comment considérer les notions de genre au sein de l’autisme quand les études faites sur la question considèrent le genre comme une position binaire, alors même que les autistes sont plus susceptibles que les neurotypiques d’être trans[4] ? Difficile, dans ces conditions, de parler de manière absolue.

Ce qui semble ressortir, tout ceci étant dit, est que tous les autistes pratiquent le camouflage social quel que soit leur genre. Les femmes cis, en revanche, le pratiquent à la fois plus souvent et d’une manière plus spécifiques. Les études prenant en compte les personnes non-binaires sont rares et la taille de leurs échantillons un peu trop faible pour être significative à l’heure où j’écris ceci.[5]

Creusons un peu le sujet.

Les filles et les garçons ne sont pas sociabilisés et élevés de la même manière. On attend des garçons qu’ils soient des leaders, qu’ils explorent le monde, prennent des risques, fassent les fous, ne pleurent pas et soient plus préoccupés par la réussite personnelle que par la coopération. Les garçons ne craignent pas la confrontation, ils n’hésitent pas à aller à l’encontre des normes si besoin, et de ce fait ils sont parfois plus socialement maladroits que les filles.

Des filles on attend en revanche qu’elles soient conciliantes. Elles doivent prendre soin des autres, les mettre à l’aise et toujours coopérer. La gestion de l’opposition et de la violence telle qu’on la juge « appropriée » pour les filles est souvent complètement opposée à celle des garçons : les conflits des filles sont des affaires complexes impliquant des jeux d’alliance, de ragots et de trahisons et s’aventurant rarement sur le plan physique.

Les filles sont donc toujours beaucoup plus encouragées que les garçons à être sociables, à s’intégrer, à ignorer ce qu’elles ressentent pour faire plaisir aux autres. Cette injonction est vraie aussi pour les filles autistes, qui à caractéristiques autistiques égales avec les garçons seront moins « visiblement autistes » : elles utiliseront plus de camouflage social. Et, ce faisant, elles passeront plus souvent sous le radar du diagnostic.

 

La semaine prochaine, nous aborderons les conséquences du masking sur la santé mentale de ceux le pratiquant ainsi que les pistes pour désapprendre les pratiques qui le composent. En attendant, n’oubliez pas de porter l’un de vos masques si vous sortez, mais de peut-être commencer à remettre l’autre en question.

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[1]Un terme que nous détaillerons un peu plus loin.

[2]Encore que. On connaît tous des enfants qui pourraient rendre à Elton John la monnaie de sa pièce.

[3]Les enfants autistes souffrent beaucoup plus souvent que les neurotypiques de problèmes de coordination et de motricité, ce qui se manifester par des difficultés à s’asseoir, à tenir la tête dans une position appropriée, à saisir des objets, à marcher avec une posture correcte, etc. Même les adultes autistes sont notoirement maladroits et peuvent avoir une démarche inhabituelle.

[4]Une personne trans est une personne qui ne s’identifie pas au genre qui lui a été assigné à la naissance. Une personne cis est une personne qui s’identifie effectivement à son genre assigné à la naissance. Voir notre article « autisme et identités lgbtqa+ » du 29/12/2020.

[5]Voir l’étude de Laura Hull et al. « Gender differences in self-reported camouflaging in autistic and  non-autistic adults » et «  « puting on my best normal » : social camouflaging in adults with autism spectrum conditions », également par Laura Hull et al.


3 commentaires
  • article passionnant, je serai au RDV la semaine prochaine

    Alex Ferder le
  • Merci a nouveau de cet éclairage.
    J attends la suite avec impatience.
    BAV

    deckers le
  • Merci pour vos articles et les sujets abordées.
    Est ce qu’un jour il vous sera possible d’aborder ce sujet : “Mon cerveau qui ne s’arrête jamais, j’aimerai avoir un bouton on/off, afin de l’arrêter pour pouvoir dormir”
    On entend souvent les autistes parler de leur cerveau qui est toujours en activité et on de la difficulté pour dormir
    Merci

    ceresoli le

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