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Le deuil et l’autisme - Partie 2

- Julie BOUCHONVILLE

Le deuil et l’autisme - Partie 2

Il y a 2 semaines, j’ai évoqué le rapport des autistes aux tabous en général et à celui de la mort en particulier, et exploré quelques pistes pour annoncer à une personne autiste le décès d’un proche. Cette semaine, penchons-nous sur des réactions qui peuvent paraître anormales ou inattendues.

 

La confusion face à la tristesse des autres

Vous est-il arrivé de mentionner à votre proche autiste que vous ne pouviez pas encaisser votre frère ou que vous n’avez pas parlé à votre cousine depuis 2003, lorsqu’elle a insulté votre fils et que vous avez décidé de couper les ponts ? Si oui, et que l’une de ces personnes devait décéder, il est probable que votre proche serait confus face à votre éventuelle tristesse.

Pour beaucoup de personnes autistes, quand on n’aime pas quelqu’un, on ne l’aime pas, et sa mort ne nous touche pas plus que celle d’un parfait inconnu[1]. L’idée qu’on puisse en vouloir à quelqu’un, le mépriser ou lui vouer de la colère et quand même être triste de son décès est bizarre et difficile à admettre ou comprendre. Bon nombre d’entre nous ont une capacité unique à couper hors de nos vies les personnes qui nous ont fait du mal, et il nous est difficile de nous imaginer à la place de quelqu’un qui ne fonctionne pas de la sorte.

Il est donc possible que mon lecteur soit dévasté par la mort de son père avec qui il entretenait une relation compliquée, et que son proche autiste lui paraisse très insultant en lui demandant pourquoi il est si triste, puisqu’il ne l’aimait pas. Le but n’est pas ici de fâcher la personne endeuillée, de nier l’importance de sentiments complexes, ou de manquer de respect à quiconque. La personne autiste est réellement perplexe.

Le mieux à faire, dans ces cas-là, est d’expliquer sans argumenter. Le but n’est pas de convaincre la personne autiste qu’il est possible d’avoir des émotions contradictoires vis-à-vis d’une personne unique, il est possible qu’elle ne le comprenne de toute façon pas. Je suggère une déclaration de type « C’est vrai que j’avais beaucoup de choses à reprocher à Ananas, mais maintenant qu’elle est morte, je suis quand même triste, ne serait-ce que parce que nous ne pourrons plus nous réconcilier. J’ai besoin que tu acceptes que je suis triste et que tu me laisses un peu de temps pour digérer mes émotions. », et pourquoi pas, donner des directives claires sur ce qu’elle pourrait faire pour aider durant le processus de deuil.

 

L’absence de chagrin suite à une relation abîmée

Dans la lignée de la catégorie précédente, il se peut aussi qu’une personne autiste ait retiré son affection à un tiers sans forcément en notifier son entourage, et que ce soit découvert au moment du décès dudit tiers. Cela mène à une conversation de type « Je ne suis pas triste qu’Ananas soit mort ; il te mettait toujours mal à l’aise, il était désagréable avec Kiwi, et je ne l’appréciais pas. »

Une première réaction tentante serait de minimiser ou de détromper (« Non, il ne me mettait pas mal à l’aise ! » ou « Mais Ananas était de ta famille, tout de même ! »), mais elle serait contre-productive. Dans le monde des sentiments, chacun possède sa propre vérité, et aucune n’est plus légitime qu’une autre. Si l’un de nos proches n’appréciait pas un tiers, ce n’est pas maintenant que ce tiers est décédé qu’on va le convaincre que c’était une personne merveilleuse et que tout cela n’est qu’un malentendu[2].

Si quelqu’un n’est pas triste suite à un décès, autiste ou non, le mieux est d’accepter sans le prendre pour soi. Le mieux qu’on peut faire à ce stade est de proposer à la personne de venir nous en parler la prochaine fois qu’elle ressent de l’antipathie pour un autre membre du cercle proche, afin de pouvoir en parler et de voir s’il y a quelque chose à faire. L’antipathie est un phénomène courant et, pour peu qu’il reste poli, absolument bénin.

 

La personne autiste a du mal à réaliser qu’un décès a eu lieu

Cette réaction est courante et ne touche pas que les autistes : on nous annonce qu’un proche est décédé, en réponse on dit les mots appropriés, on se prépare à se rendre dans une ville plus ou moins lointaine pour la cérémonie… mais au niveau émotionnel c’est le calme plat, ou ma variation préférée, « calme plat avec supplément de nausée quand on essaye d’y penser ».

C’est une réaction perturbante pour la personne qui la vit et/ou son entourage, mais là encore c’est souvent dû à l’absence de réalité tangible. Il nous manque quelque chose qui va rendre le décès concret, réel, et souvent, les rituels entourant la mort vont réussir à combler cette absence : rien n’affirme qu’il s’est passé quelque chose comme voir ses proches en larmes dans un cimetière venteux.

Il se peut que la sensation d’émotions émoussées vis-à-vis du deuil tarde à se dissiper. Se mettre la pression est inutile : on ressentira ce que l’on a à ressentir le moment venu, peut-être quand on ne s’y attendra pas, peut-être quand on sera émotionnellement plus disponible pour cela. Ce n’est ni mal, ni grave ou problématique, de ne pas se sentir détruit quand une personne qu’on aimait décède. Chacun gère son deuil à sa façon. La réalisation viendra tôt ou tard, et si l’on ne s’effondre pas en sanglots, à la limite, n’est-ce pas ça de gagné ?

 

La personne autiste se remet très vite d’un décès

Il peut arriver que le deuil d’une personne autiste soit très court. Comme pour tout le monde, nous nous remettrons plus vite si la personne décédée était quelqu’un que nous connaissions peu, mais de nous être faits à l’idée peut aussi jouer un rôle majeur. Si nous nous attendons à un décès, par exemple dans le cas d’une personne malade depuis longtemps, très âgée ou ayant planifié un suicide assisté[3], il se peut que nous ayons déjà fourni le travail émotionnel nécessaire et que le décès ne soit finalement qu’une confirmation de ce à quoi nous nous attendions. Dans ce cas, notre rapidité de récupération ne sera pas le signe d’une personnalité monstrueuse et vide de toute empathie[4], mais plutôt que tout se déroule comme nous l’avions imaginé.

 

La personne autiste est inconsolable après un décès

Après toutes ces mises en garde suggérant qu’une personne autiste ne serait pas triste quand bien même toute sa famille mourrait sous ses yeux, je me dois d’explorer l’autre côté de la pièce. Il est possible qu’une personne autiste soit beaucoup, beaucoup plus triste que ce à quoi son entourage s’attendait, ou que son chagrin dure beaucoup plus longtemps, etc.

Là encore, la compréhension est la meilleure attitude. Nous vivons tous nos émotions de la manière qui a le plus de sens à ce moment pour nous. Il peut être pertinent d’interroger la personne, pour déterminer si son chagrin est directement causé par le deuil (« Ananas va me manquer ») ou s’il s’agit de quelque chose de plus dérivatif (« J’ai peur qu’il arrive quelque chose à Kiwi, désormais » ou « J’ai peur de mourir moi aussi »), et dans tous les cas, de lui rappeler le paradoxe bizarre que représente la mort : oui, tout le monde va mourir, et oui, c’est un peu vertigineux quand on regarde la vérité de trop près, mais en attendant, tout le monde va bien. Et si les morts avaient le choix, ils préfèreraient sans doute qu’on pense à eux dans la joie que dans les larmes.

Examiner des traditions funéraires diverses et multiplier les cérémonies de deuil peut aider à donner une sensation de conclusion et de finalité qui aide à passer à autre chose.

 

Conclusion

Comme je l’ai écrit plusieurs fois dans cet article, nous avons tous et toutes notre propre rapport au décès, au deuil et à la mort, et aucun de ces rapports n’est supérieur à un autre. Il peut nous sembler problématique qu’une personne ne soit « pas assez triste », ce qui suggère qu’elle n’a pas compris ce qui se passe ou qu’elle détestait secrètement le défunt, ou « trop triste », ce qui suggère qu’elle est au bord de la dépression clinique, mais « la bonne quantité de tristesse », qui conviendrait à une sorte de Boucle d’Or du deuil, est un mirage.

Le mieux que nous pouvons accomplir est de faire preuve d’honnêteté les uns envers les autres, de ne pas tenter de nous mentir sous prétexte de nous épargner du chagrin, et d’accueillir nos émotions au fur et à mesure qu’elles se présentent.

 

[1]Voire moins, parce que les parfaits inconnus ne nous agacent pas et n’insultent pas nos choix de vie.

[2]Surtout qu’à ce stade on serait en train de convaincre notre proche que le tiers était génial comme ça notre proche pourrait être triste de son décès, ce qui n’a aucun sens. 

[3]La Suisse et la Belgique ne sont pas loin, après tout.

[4]Très peu de choses, finalement, sont le signe d’une personnalité monstrueuse et vide d’empathie.


2 commentaires
  • Un grand merci pour ce sujet, On trouve rarement de texte qui l’aborde.
    Un jour j’ai proposai ce sujet lors d’un café des autiste car ma façon d’être face à la mort peut sembler anormal et je ne me comprend pas, il a vite était détourné car j’avais l’impression de plomber tout le monde avec ce sujet
    Je suis autiste et je n’ai jamais compris pourquoi je ne suis pas triste lors d’un deuil.
    Pour moi une personne qui meurt même si je l’aime beaucoup, est une personne que je ne verrais plus mais cela ne me dérange pas plus qu’une personne qui déménage loin de chez moi et que je ne verrai plus.
    Une anecdote: “lors de l’enterrement d’un proche familiale mes sœurs se mettent toujours à côté de moi, car elles savent que je ne suis pas triste du tout et qu’elles arriveront à moins pleurer”
    La seule chose qui me dit que je ne verrai plus la personne, et que je ne pourrai même pas lui téléphoner, c’est lorsque je suis habituée à lui demander des renseignements sur différents sujets et que je me dis “ha c’est vrai je ne peux pas, elle n’est plus là”
    Je voudrai tellement savoir si je suis la seule qui pense de cette façon.
    Je suis obligée de faire comme si j’étais désolée lorsqu’on m’apprend le décès d’une personne

    vero le
  • Merci pour cet article.
    Je retrouve le cas de mes fils (dont un autiste Asperger et un HPI) qui n’ont pas pu pleurer ni être tristes quand leur mamie (ma mère) est décédée. C’était un décès prévisible. De plus, ils savaient qu’elle et moi avions des relations difficiles voir de façade; ils avaient une vraie affection pour elle, partagée, chaleureuse mais encadrée.
    Pour ma part, ce décès a réactivé celui de mon père, 20 ans plus tôt. Personne n’a pu comprendre cela.
    Mais ma mère, déjà morte dans mon cœur depuis plusieurs années, était le dernier lien avec ce papa mort trop tôt et les trous de mes souvenirs.
    Tout comme, j’ai hurlé à l’hôpital, quand j’ai voulu voir mon père et qu’on m’a dit non, il vient de mourir : Je n’ai pas été dévastée de chagrin, NON, de colère ! je venais le voir vivant
    Le corps que j’ai vu “n’était pas lui”. Il a fallu le voir apprêté dans son cercueil pour dire, ok, là on ne revient pas en arrière. Vide abyssal intérieur = bosser comme une malade mes examens universitaires. Avoir l’air normale. Mes amis ont été choqués. Je ne savais pas que je souffrais de TSA.

    Aujourd’hui, à 47 ans, je suis diagnostiquée, et ça explique beaucoup de “choses étranges” ou contradictoires chez moi.
    Je tente de me trouver moins monstrueuse, moins critique à mon égard, et de faire la paix avec les disparus. Ils y en trop, beaucoup trop de perte d’être chers.
    Je tente de reprendre le cours de MA vie. Car, oui, on peut rester bloquée dans la tristesse et le passé malgré un conjoint aimant, des enfants très chouettes et un chat+ des chiens top. Merci aux belles personnes que l’on croise sur ce long long chemin d’acceptation. Professionnelles ou non.

    Chauvin le

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