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Le « waiting mode »

- Julie BOUCHONVILLE

Le « waiting mode »

Mon lecteur connaît peut-être le phénomène. Imaginons que j’ai un rendez-vous à 15 h. Il me faut dix-sept minutes pour y aller donc disons vingt pour être large, plus trois minutes pour attacher mon vélo, plus trois pour respirer… Avec une marge, je dois démarrer à 14 h 20[1].

Donc dès 12 h 30, j’arrête de faire quoi que ce soit d’autre, et j’attends.

 

Attendre

Le « waiting mode », littéralement « mode attente », c’est la compulsion irrésistible de ne surtout rien commencer ni faire de trop prenant avant un événement planifié. Plus précisément, cela désigne le fait que chez certaines personnes, ce mode se déclenche des heures et des heures avant l’événement prévu, les paralysant pour ainsi dire. Ce phénomène est plus courant chez les personnes neurodivergentes : TDAH, autistes, personnes souffrant de dépression ou d’anxiété, …

 

Les causes

Elles ne sont pas très bien identifiées car d’une part personne ne s’est encore amusé à étudier sérieusement la question, et d’autre part elles semblent varier un peu d’une personne à l’autre. Mais voici quelques grandes lignes :

- L’anxiété joue un rôle majeur. Si l’on se retrouve bloqué à ce point, c’est surtout par peur d’oublier l’événement important ou de s’y rendre avec du retard.

- Notre perception du temps peut manquer de précision. Le trouble de l’attention (TDAH) est souvent décrit par ceux qui en souffrent comme une sorte d’incapacité à percevoir le temps « normalement » : il peut s’étirer ou au contraire disparaître à toute vitesse, selon la situation. La question mériterait un article à elle toute seule, mais chez les autistes aussi, la capacité à percevoir le temps qui passe peut parfois être perfectible (l’une des raisons pour lesquelles utiliser un timer pour nos activités est si utile). On peut donc en arriver à se dire que d’être prêt deux heures avant sa visio n’est pas farfelu.

- La dysfonction exécutive qui fait son grand retour. Je renvoie mon lecteur vers notre article du 23 juin 2021 traitant de la question en détails, mais cette dysfonction impacte en gros la capacité d’une personne à accomplir des tâches et les hiérarchiser. La personne peut avoir du mal à bien se représenter toutes les étapes nécessaires à l’accomplissement de sa tâche (par exemple allumer son ordinateur, lancer le programme de visioconférence, se servir un verre d’eau, s’assurer qu’elle soit présentable, changer de pièce, etc) et de ce fait préférer ne rien faire d’autre pendant une longue période précédant l’heure du rendez-vous, juste histoire d’être sûre. Elle peut aussi, à cause de l’anxiété de l’évènement approchant, avoir du mal à estimer toutes les étapes constituant une activité qu’elle aimerait faire en attendant, et donc ne pas oser la démarrer de peur que cela prenne trop de temps.

- L’incertitude nous paralyse. Il est bien connu que les autistes fonctionnent mieux s’ils peuvent prévoir le déroulement d’une situation à l’avance et pour ainsi dire organiser des répétitions mentales jusqu’à avoir l’impression de contrôler à peu près ce qui va se passer. Parfois, cela nous est impossible. Dans ces cas-là, le vaste point d’interrogation que représente l’évènement va consommer toute notre attention, tant nous serons occupés à lister les « et si ? ». Dans ces conditions, il est impossible de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre.

 

Lutter contre le waiting mode

La première étape, c’est accepter que l’on a un problème. C’est en général après que ça se corse.

Me basant sur mon expérience personnelle, je recommande d’abord à mon lecteur de se chronométrer en train de se préparer à faire des tâches à un rythme calme. Par exemple, mesurer le temps que l’on met pour se préparer à sortir : enfiler ses chaussures, son manteau, faire un saut aux toilettes, trouver ses clefs, fermer les volets, éteindre les lumières, etc[2]. Une fois qu’on a ces données, on peut faire des estimations réalistes du moment où il nous faut effectivement ne plus rien commencer avant une activité planifiée.

Ensuite, prendre l’habitude de fonctionner avec des timers ou avec de la musique. Toujours à titre personnel, d’avoir de la musique en fond sonore me permet de mieux estimer le temps qui passe, parce qu’à chaque nouvelle chanson je sais qu’il s’est écoulé entre trois et quatre minutes. On peut aussi prendre l’habitude de travailler par tranches d’une demi-heure, avec une alarme à intervalles fixes.

Troisièmement, se trouver une activité d’attente peu prenante est très utile. Cela peut être un jeu que l’on peut ranger en quelques instants, de la lecture qui s’interrompt facilement, prendre les poussières, brosser un animal de compagnie, danser, regarder une vidéo, … N’importe quoi dont on sait que ce n’est pas grave si on l’arrête de manière abrupte. Ça ne résout pas vraiment le problème, mais on se sent déjà mieux d’avoir fait quelque chose d’utile ou au moins d’agréable en attendant, plutôt que d’avoir traîné sur Instagram pendant quarante-cinq minutes.

Enfin, lutter contre l’anxiété. Elle est à mon sens à la racine du problème : c’est la peur d’être en retard ou d’oublier qui nous bloque, elle empire notre dysfonction exécutive, et quand nous manquons d’informations, c’est l’anxiété une fois de plus qui nous donne l’impression que le monde va s’effondrer. Plusieurs méthodes existent, détaillées dans plusieurs articles précédents, mais elles vont de la pratique d’exercices de respiration à la médication, en passant par tout ce qu’il y a entre. Mon lecteur remarquera sans doute que la lutte contre l’anxiété est l’un de mes leitmotivs mais c’est fondé : ce trouble a mille et une façons de nous pourrir la vie, parfois même sans qu’on réalise qu’il est le coupable. Réduire son impact est toujours une bonne idée.

 

Conclusion

En l’absence de solution miracle, prendre conscience que ce phénomène d’attente nous pourrit un peu nos journées est déjà un bon début. Au-delà du simple contournement qui consiste à arranger tous ses rendez-vous et réunions en début de matinée, des pistes existent pour essayer de résoudre le problème ou du moins de minimiser son impact. N’attendons plus pour les mettre en place.[3]

J’invite mon lecteur à partager avec nous ses propres astuces !

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[1]On parlera de la terreur abjecte d’être en retard une prochaine fois, promis.

[2]Illustration : il me faut huit minutes, mais ma tendre moitié préfère toujours tabler sur vingt en ce qui la concerne.

[3]Ai-je honte de ce jeu de mots ? Pas du tout.


3 commentaires
  • Et le pire, c’est quand au bout d’un certain temps de paralysie, notre cerveau, ne supportant plus l’angoisse de cette anticipation anxieuse, décide de se lancer dans une tâche parfaitement superflue et chronophage qu’il nous force à considérer comme ultra-prioritaire !
    Angoisse, retard et culpabilité garantis !

    Adeline le
  • Ha bin oui je connais bien ce problème car pour moi c’est un problème. Je suis toujours prête bien en avance. Je n’arrive jamais en retard au rendez-vous. Mais voilà comme je suis prête bien avant et bien je ne sais pas quoi faire dans ce délai d’attente. Je ne peux pas commencer quelque chose de peur de ne pas pouvoir arrêter ce que je fais de peur d’être en retard par la suite. Et comme je ne fais rien hé bien je stress je stress énormément et je n’ai plus envie d’aller à mon rendez-vous.
    J’essaie de ne pas me préparer trop en avance mais comme j’ai peur de ne pas être à l’heure je n’y arrive pas. C’est un cercle vicieux. Donc malheureusement je subis cet état de stress.

    Ceresoli le
  • Encore un article génial qui me permet de comprendre à chaque fois davantage ce que vit ma fille. Merci!

    Nathalie DOLLFUS le

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