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Occuper l’espace : un droit

- Julie BOUCHONVILLE

Occuper l’espace : un droit

À qui appartient la rue ? Qui a le droit de prendre le métro ou de s’asseoir sur les bancs ? Bientôt nous pourrons peut-être retrouver le chemin des restaurants, des terrasses, des cinémas. Mais en aurons-nous tous le droit ? Les lieux publics appartiennent-ils vraiment à tout le public ?

J’invite mon lecteur à y réfléchir avec moi.

 

Pour qui les lieux sont-ils conçus ?

Il y a quelques années, au détour d’une conversation féministe, j’ai failli tomber de ma chaise quand l’amie avec qui je parlais m’a fait remarquer que les villes étaient construites pour les hommes. Pas que je trouvais ça faux – cela m’a tout de suite frappé comme vrai, mais je n’y avais jamais pensé en ces termes jusqu’alors.

Les équipements de loisirs publics sont majoritairement utilisés par les hommes. Les sièges des métros et des bancs publics sont un poil trop grands. Les parcs urbains, d’ailleurs, n’ont souvent qu’une seule entrée/sortie[1]. Les transports en commun sont prévus pour des gens travaillant à temps plein et ne devant voyager qu’entre leur domicile et leur lieu de travail[2], les zones piétonnes sont souvent impraticables en poussette[3] , et que dire de l’absence de toilettes publiques propres et sûres ?[4]

Si mon lecteur désire creuser la question, je lui suggère de jeter un coup d’oeil au dossier d’articles dont le lien[5] est en bas de page, mais en attendant nous nous contenterons de dire que oui, la ville est pensée par des hommes, et elle tend à être pour les hommes.

Qu’est-ce que cela implique vis-à-vis des neurotypes ? Aucune étude n’a à ma connaissance été faite sur la question, aussi je ne peux me baser que sur des témoignages, mais je pense que personne me contredira lorsque j’affirmerai que les villes sont construites par les neurotypiques. Et, le plus souvent, pour eux.

La plupart des lieux publics sont très stimulants : beaucoup de monde, beaucoup de bruit, des écrans lumineux, de vastes zones à surveiller pour s’assurer de ne percuter personne et de ne pas l’être soi-même, de la faune urbaine[6], … Il existe peu d’endroits publics où s’asseoir au calme pour se reposer, et aucun endroit privé[7] où le faire sans dépenser d’argent. Subtilité terrible : bien que des règles régissent les comportements que l’on peut avoir dans les lieux publics, elles peuvent varier un peu d’un endroit à l’autre, ou il y en a certaines qui existent mais que l’on peut ne pas appliquer si on le sent bien : le genre d’imbroglio qui fait le cauchemar des autistes.

Et bien sûr, les autistes sont très minoritaires par rapport à la population générale, cela n’aurait donc aucun sens de construire une ville « pour les autistes » quitte à handicaper les neurotypiques. On pourrait en revanche se demander si on ne rendrait pas service à tout le monde en passant des lois interdisant les scooters qui font un bruit de perceuse et en construisant plus de bibliothèques et de toilettes publiques[8].

Si une ville pour autistes n’aurait pas beaucoup de sens, une ville pour tous, pensée en ayant conscience que les autistes existent, pourrait être très sympa.

Le regard des autres

A un espace urbain pas toujours bien conçu s’ajoute le regard de l’autre. Les gens ne sont pas toujours très tolérants d’une personne autiste qui a des gestes d’auto-stimulation, avec une démarche bizarre ou du mal à régler le volume sonore quand elle parle. Si les comportements franchement agressifs sont rares[9], l’outrage discret mais bien décelable est en revanche très courant. Les français en particulier sont les champions de la désapprobation passive-agressive à base de grands soupirs, de regards appuyés, de lèvres pincées et de « tut » de la langue. Beaucoup d’autistes souffrant de phobie sociale, et beaucoup de parents d’autistes se sentant mal à l’idée de pourrir la journée cinéma de tout le monde avec leur enfant qui ne sait pas quand il est acceptable de crier, le poids du regard des autres est ravageur.

En tant que personne autiste ou proche d’une personne autiste, on peut avoir l’impression que l’espace public n’est pas que mal pensé pour nous, mais qu’il nous est carrément interdit. On a parfois la certitude que les gens assis à côté de nous au cinéma vont au mieux nous juger et au pire nous détester, que tous les passants de la rue vont se moquer de nous ou de la personne que l’on aime, qu’en sortant on prend le risque de s’exposer à la critique et que des personnes malveillantes nous prennent pour cible.

Cher lecteur, tout ceci est vrai au moins dans une certaine mesure. J’offre, néanmoins, une alternative.

Et si on s’en foutait ?

 

Rien n’est gênant si on refuse d’être gêné

Je sais, je sais, ça ressemble dangereusement au discours classique : « Oh mais tu sais, il suffit de faire un effort, tout ça c’est dans ta tête, c’est une question d’état d’esprit, il faut être un battant ! ». Mais que mon lecteur se rassure, cela n’a rien à voir. Le discours classique est un positivisme obligatoire. Mon approche est basée sur la certitude inébranlable et féroce que n’importe quel membre du public est à sa place lorsqu’il est dans un lieu public. Pas « à sa place » dans le sens « ce n’est pas illégal ». « A sa place » dans le sens « entre ici et mon salon, la seule différence est que je dois mettre des chaussures ».

 

J’encourage mon lecteur à chercher la joie qui se trouve dans le fait de faire exactement ce dont il a envie[10]. Si les neurotypiques le regardent d’un air mécontent, leur sourire est une bonne réponse.

Et bien sûr, il faut garder un certain respect pour les autres et cela implique parfois de ne pas courir ou crier ou se rouler dans l’herbe, même si on en a très envie. Mais serait-ce la fin du monde si quelqu’un le faisait néanmoins, pas par malveillance mais parce qu’il n’a pas pu s’en empêcher ? Bien sûr que non. Si des gens ont envie de juger une personne qui trouve de la joie à souffler des pissenlits, franchement, c’est eux qui ont un problème.

Et de même, s’empêcher de faire une chose qui nous donne de la joie, alors qu’elle n’est même pas interdite, sous prétexte que peut-être cela va faire froncer les sourcils à un total inconnu ? Pour l’amour du ciel, cher lecteur. Arrêtons de nous pourrir la vie.

 

Que faire si quelqu’un me demande de faire moins de bruit/arrêter de courir/ne pas toucher les statues/mieux contrôler mon proche ?

Garder en tête que vous avez le droit d’être là, vous et/ou votre proche autiste. S’excuser est toujours bien : ça fait plaisir à celui qui l’entend. Expliquer aussi : « Je suis autiste, j’ai du mal à moduler le volume de ma voix » ou « Elle est autiste, elle adore courir, un grand espace comme ça, c’est difficile pour elle d’y résister ». Assurer qu’on fera attention et, bien sûr, essayer de ne pas reproduire le comportement en question. Mais surtout, surtout comprendre qu’il y a un monde de différence entre « ne pas crier » et « être plus silencieux qu’une ombre ». On vient de vous demander d’arrêter de courir ? Très bien, mais vous avez toujours le droit de marcher ou de pratiquer le stim de votre choix. Personne ne vous a demandé de partir ou d’arrêter d’exister.

 

(Et ne touchez pas les statues, jamais. Moi aussi je le fais en douce parfois. Mais ça peut vraiment les abîmer, apparemment. Il faut qu’on soit forts ensemble et qu’on se retienne.)

 

En conclusion

Les lieux publics sont à tout le monde. Certaines règles plus ou moins explicites les gouvernent, et il est important de respecter les règles pour pouvoir vivre en société[11]. Ceci étant dit, les personnes autistes et leurs proches ne devraient pas s’imposer des interdictions supplémentaires sous prétexte que les non-autistes vont être perplexes lorsqu’ils seront confrontés à des comportements typiques de notre trouble. Si les lieux publics sont à tout le monde, alors ils sont aussi à nous, et nous ne devrions pas avoir peur d’y être nous-mêmes. Roulons-nous dans l’herbe. Agitons nos mains. Chantons en marchant. Ce serait trop dommage de nous en priver.

 

J’encourage mon lecteur à partager des idées de modifications à faire dans les villes pour les rendre plus « autistes friendly » s’il en a !

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[1]A l’exception des parcs contenant des jeux pour enfants. Un point d’accès unique peut plus vite mettre les femmes mal à l’aise au cas où elles seraient harcelées/agressées.

[2]Et snobbent donc les gens qui travaillent à temps partiel (en majorité des femmes) ou qui doivent faire plusieurs arrêts entre le domicile et le lieu de travail, par exemple pour déposer des enfants, s’occuper d’un proche, faire des courses, …

[3]Et devinez qui pousse le plus souvent les poussettes ?

[4]Là encore, ceci affecte surtout les gens qui aident d’autres personnes dépendantes, ou qui ne peuvent pas facilement faire pipi debout derrière un buisson, et dans les deux cas ce sont le plus souvent des femmes.

[5]https://www.lagazettedescommunes.com/543204/quand-lespace-public-est-concu-par-des-hommes-et-pour-les-hommes/

[6]Beaucoup de gens ont peur des pigeons, sans doute parce que les pigeons n’ont peur de rien.

[7]Comme un café ou un restaurant.

[8]Sur une note plus personnelle, je ne dis pas qu’il faudrait aller jusqu’à punir d’une peine de prison les gens qui klaxonnent lorsqu’il n’y a pas de danger, mais peut-être que ça les ferait réfléchir.

[9]Bien que, hélas, pas inexistants.

[10]Dans la limite de la légalité, bien sûr, mais je doute que parmi mes lecteurs se trouvent des gens dont le plus cher désir est de piquer des vélos ou de lécher les barres du métro.

[11]Et si quelqu’un pouvait passer le message aux neurotypiques, ce serait cool.


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