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Sauter le pas de la parentalité - Partie 3

- Julie BOUCHONVILLE

Sauter le pas de la parentalité - Partie 3

Les semaines précédentes, nous avons évoqué ce que peut ressentir une personne autiste lorsqu’elle envisage de devenir parent, mais craint d’être mal équipée pour y réussir. Aujourd’hui, dans un grand élan autistique et pour le dernier article de cette série, j’encourage mon lecteur à envoyer voler les codes sociaux.

 

S’améliorer

On ne peut pas guérir l’autisme, je pense que tous mes lecteurs sont d’accord avec moi sur ce point, mais cela ne veut pas dire que les autistes ne peuvent pas progresser en tant que personnes. J’encourage mon lecteur à parler à un psychologue ou similaire d’obstacles qu’il pourrait voir à sa parentalité, en expliquant à ce professionnel l’objectif final. On peut très bien dire à un psy « je suis bien au courant que je suis autiste et là n’est pas la question » et ensuite travailler avec cette personne sur des points précis qui n’ont aucun rapport avec le diagnostic.

Ces points peuvent être des choses comme la tolérance aux bruits répétitifs[1], des stratégies pour lutter contre les pensées intrusives de type « voilà comment mon enfant pourrait mourir aujourd’hui ! », parfois même des conseils pratiques tout bêtes relatifs aux activités de loisir[2] ou à l’organisation des pièces de la maison[3].

Un coach parental sensibilisé aux questions de l’autisme chez l’adulte serait lui aussi à même d’aider les futurs ou nouveaux parents à poser toutes leurs questions et à travailler sur eux-mêmes afin d’être moins réactifs, ou en tout cas plus armés, dans certaines situations compliquées[4].

 

Établir son propre modèle

Les autistes sont bizarres. Disons-le sans honte. Nous ne faisons pas tout comme les neurotypiques. Mais souvent, j’ai l’impression que lorsqu’on en arrive à la parentalité, il existe une sorte de pression sociale plus forte, qui suggère que dévier des méthodes et habitudes les plus courantes est, en un sens, synonyme de maltraitance. Par conséquent, il est important d’élever ses enfants « comme tout le monde », et le moindre écart impliquera le malheur de l’enfant.

Ceci, pour le dire clairement, est faux. Certains comportements constituent de la maltraitance ou de la négligence, c’est vrai : ignorer ses enfants, ne pas les nourrir correctement, les soumettre à de la violence physique, etc. Au sens large, ignorer leurs besoins, voire aller à l’encontre de ces besoins. Le consensus parental suggérant qu’il faille vacciner ses enfants, leur fournir des chaussures à leur taille et les laisser dormir lorsqu’ils sont fatigués, par exemple, est difficilement discutable.

D’autres faits sont en revanche bien moins monolithiques. Par exemple, de nos jours, il est courant pour les parents de penser qu’il leur faut jouer avec leurs enfants. Ceci est une décision hautement personnelle : dans de nombreuses cultures, il est admis que lorsqu’un enfant a passé l’âge d’être porté presque tout le temps, soit dès qu’il a six ou huit mois environ, il peut tout à fait s’amuser seul ou avec d’autres enfants.

 

Ce n’est qu’un exemple, mais là où je veux en venir avec ce point précis, c’est qu’il est possible d’établir sa propre norme. On peut être un bon parent sans jamais regarder son enfant dans les yeux, si on lui montre de l’affection autrement. On peut être un bon parent sans jamais parler avec sa bouche, sans donner un seul bain, sans accepter les câlins prolongés, etc. La seule question est : est-ce que les besoins de l’enfant sont satisfaits ? Si l’on ne le câline pas parce que l’on n’aime pas ça, est-ce que quelqu’un d’autre est là pour le faire ? Si l’on ne joue jamais avec lui, a-t-il quelqu’un avec qui jouer ? Si l’on ne le laisse pas mettre du bazar dans le salon, peut-il le faire dans sa chambre ? Si l’on a besoin de passer des heures totalement absorbé par une tâche, s’ennuie-t-il ?

Peu importe à quoi une famille autiste ressemble de l’extérieur. Peut-être que les communications se font en signant, peut-être que les parents sont habillés bizarrement, ou qu’un oncle des enfants se pointe tous les soirs pour leur donner leur repas, ou que l’un des parents dort plus souvent dans le jardin que dans sa chambre, ou qu’il y a toute une pièce remplie de modèles de trains où les enfants ne sont pas admis.

J’encourage mon lecteur, comme je l’ai fait précédemment, à abandonner l’idée d’une Seule Bonne Méthode, et à vraiment se concentrer sur les besoins des enfants. Sont-ils comblés ? Les enfants semblent-ils heureux ? Leur santé est-elle aussi bonne que possible ? Alors peu importe si la méthode pour y arriver est un peu bizarre. Tous les enfants ne grandissent pas dans le même environnement, et c’est tant mieux.

 

Il est intéressant de noter que des personnes extérieures à la famille pourraient critiquer ce mode de fonctionnement : des beaux-parents pas très coopératifs, des connaissances éloignées, etc. J’attire l’attention du lecteur sur la nuance à faire entre une inquiétude émanant d’un professionnel et l’avis non sollicité d’une connaissance. L’inquiétude d’un professionnel va souvent se manifester autour d’une observation et d’une question, par exemple :

– « Ananas est un peu en dessous des courbes de croissance pour son âge, comment se passe la diversification ? »

– « L’autre parent d’Ananas me semble très froid·e avec elle lorsqu’iel vient la récupérer, est-ce que tout va bien ? »

– « Ananas a mentionné dormir avec le chat de la famille, or comme nous en avons parlé elle a parfois des symptômes qui évoquent l’allergie. A-t-elle été testée pour une allergie aux poils de chat ou aux acariens ? »

 

Là où les remarques qui ne servent qu’à critiquer ou satisfaire une curiosité personnelle n’impliquent aucune observation, ni objectif précis, et se contentent d’asséner l’information ou de l’exiger :

– « Mais alors, vos cousins habitent chez vous ? »

– « Tu devrais le laisser faire, c’est bon, pour les enfants, de faire […] »

– « Ananas devrait pouvoir s’habiller seul. »

– « C’est bizarre que votre co-parent ne s’occupe jamais du bain. »

 

Si j’encourage mon lecteur à écouter les professionnels[5], je l’invite également à se fermer sans remords aux remarques inutiles. Non pas que ce soit aussi aisément fait qu’écrit, mais si quiconque a l’impression d’avoir besoin qu’on lui donne la permission, qu’il considère cet article comme un mot du médecin, pour ainsi dire. Nous ne devons d’explication à personne.

 

Un autiste averti en vaut deux

J’ai conscience de prévenir mon lecteur que l’eau mouille, mais discuter avec son ou ses co-parents potentiels, et son réseau de soutien, est primordial avant toute reproduction. Personne n’a envie de découvrir, à quelques jours de l’arrivée d’un enfant, qu’il s’est engagé dans une opération différente de ce qu’on lui a vendu. L’un des gros défauts d’avoir des enfants, c’est qu’on ne peut pas changer d’avis, alors se reproduire en n’étant que moyen sûr qu’on en a envie est le pire plan qui soit[6].

 

Je ne saurais trop encourager mon lecteur à passer le plus de temps possible avec de jeunes enfants avant de se lancer dans la production des siens, si possible pendant de longues périodes plutôt qu’une après-midi par-ci et par-là, et en se confrontant aux aspects les plus compliqués de la parentalité : les réveils nocturnes, les repas, les pleurs, les transports en commun, etc. Il est tentant de se dire que toutes ces choses seront moins pénibles dans une situation où l’on a un lien de parenté avec l’enfant en question, et dans une certaine mesure c’est vrai, mais on ne parle pas d’un rapport du simple au double. Oui, on tolère mieux quand c’est notre enfant qui nous réveille la nuit plutôt que celui de nos amis qu’on garde pour un jour ou deux. Est-ce que cela devient agréable ou nie les besoins de sommeil humains ? Non.

Que mon lecteur envisageant la parentalité essaye donc de s’immerger le plus possible dans des quotidiens de parents, avec des enfants d’âges et d’éducations divers, et détermine s’il[7] se voit mener ce train de vie pendant des années[8].

 

Enfin, je l’ai déjà mentionné, mais j’y reviens, que mon lecteur se rappelle qu’il est acceptable de désirer des enfants, mais de quand même ne pas en avoir. On présente souvent les personnes faisant le choix de ne pas avoir d’enfants comme égoïstes, ou n’aimant pas les enfants, ou étant contre l’idée de se reproduire. Cela peut représenter une partie de cette population, mais je pense qu’il est important aussi de dire qu’on peut avoir envie d’enfants, mais se rendre compte, pour un millier de raisons possibles, que ce n’est pas le meilleur plan pour nous en tant que personne, ou pour notre famille.

Selon les raisons pour lesquelles on voulait faire des enfants, il est possible de satisfaire ces désirs autrement : on peut s’investir auprès d’enfants de notre entourage ou même d’associations qui accompagnent les enfants, on peut devenir moniteur ou professeur, écrire de la littérature jeunesse, être bénévole en bibliothèque, etc.

On peut écrire ses mémoires[9] si on aimerait laisser une trace ou fictionnaliser sa vie, si l’on ressent le désir de recréer des situations par nostalgie tout en effaçant les erreurs commises la première fois. On peut intégrer des communautés riches de connexions, approfondir sa relation avec son ou ses partenaires romantiques, ou réfléchir à d’autres manières de donner un sens nouveau à sa vie ou de laisser un héritage au monde, par exemple à travers l’art, l’aide aux autres, l’excellence dans quelque domaine que ce soit, etc.

Bref, on peut mener une vie riche et intéressante, et ressentir de l’amour inconditionnel et de la joie, et former une famille, sans jamais avoir d’enfants. Je ne dis pas qu’il le faut, mais on peut.

 

Conclusion

Je terminerai cette longue série par un récapitulatif. Nous ne parlons pas assez, à l’échelle de notre société, des parents autistes, et c’est un tort parce que rien ne nous prédétermine à être de moins bons parents que d’autres. À mon lecteur qui se demande « serais-je un parent correct ? », je ne peux que lui dire : sans doute, à condition d’avoir réfléchi un minimum. Bien traiter ses enfants, cela peut prendre des formes très différentes selon les familles, et cela consiste d’abord et avant tout à s’assurer que les besoins de ces enfants soient comblés. Par quelles méthodes cela passe n’a au final que peu d’importance. Ne pas être un parent est très acceptable aussi, mais être autiste n’est pas en soi disqualifiant, pas si l’on n’en a pas envie.

 

[1]Parce qu’on peut demander à un enfant d’arrêter de chanter, par exemple, mais pas d’arrêter de tousser quand il est malade.

[2]« J’aimerais emmener mon enfant au parc d’attractions pour qu’il en profite, mais je ne supporterais pas d’entrer dans un parc d’attraction, on fait quoi ? »

[3]« Suis-je un mauvais parent si j’interdis à mon enfant d’entrer dans la pièce où je range mes fossiles ? »

[4]Loin de moi l’idée de faire ma pub, mais étant moi-même une professionnelle de la petite enfance sensibilisée aux questions de l’autisme chez l’adulte, je suis disponible si besoin.

[5]Et encore, pas tous. Ceux en qui il a décidé de placer sa confiance.

[6]Je ne dis pas qu’il est impossible que cela se passe bien si on n’était pas sûr dès le départ, mais on met quand même bien plus de chances de son côté en prenant le temps de décider si vraiment on désire des enfants.

[7]Et toute personne qui sera impliquée dans l’éducation de ses enfants.

[8]Les enfants ne restent pas des bébés toute leur vie, certes, mais à cinq ou six ans ils sont toujours susceptibles de se blesser bêtement ou d’appeler la nuit parce qu’ils ont fait des cauchemars.

[9]Ou les faire écrire par un ou une professionnelle.


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